
C’est un inventaire à la Prévert qu’égrène Julien Tonner pour la caisse régionale d’assurance maladie Île-de France (Cramif). Et cet ingénieur conseil au service prévention des risques professionnels est formel : oui, les conducteurs sont susceptibles de dégrader leur santé en conduisant. Oui, ce risque a longtemps été minimisé par des employeurs qui ne s’intéressaient qu’aux accidents de la route.
« Il existe des facteurs de dégradation de la santé liés à l’acte de conduite, précise Julien Tonner. La liste est longue : risques physiques affectant la colonne vertébrale (rachialgie), dus aux vibrations du véhicule transmises par la route, ou...
C’est un inventaire à la Prévert qu’égrène Julien Tonner pour la caisse régionale d’assurance maladie Île-de France (Cramif). Et cet ingénieur conseil au service prévention des risques professionnels est formel : oui, les conducteurs sont susceptibles de dégrader leur santé en conduisant. Oui, ce risque a longtemps été minimisé par des employeurs qui ne s’intéressaient qu’aux accidents de la route.
« Il existe des facteurs de dégradation de la santé liés à l’acte de conduite, précise Julien Tonner. La liste est longue : risques physiques affectant la colonne vertébrale (rachialgie), dus aux vibrations du véhicule transmises par la route, ou risques liés aux postures de travail (position sédentaire de la conduite). Ce qui se traduit par des TMS affectant le cou, le dos, les épaules ou encore des maladies cardio-vasculaires et digestives. Et la manutention associée à la conduite peut constituer un facteur aggravant dans la survenance de TMS », énumère le représentant de la Cramif.
Une très longue liste

Julien Tonner cite aussi le bruit dans l’habitacle qui peut amener à des surdités de l’oreille gauche, liées à l’ouverture de la fenêtre conducteur. En notant que la climatisation a réduit ce type de pathologies dans le transport routier de marchandises. « Les conducteurs peuvent aussi souffrir de la pollution liée à la circulation. Et des habitacles affichent parfois des concentrations en polluants (particules, oxyde d’azote, etc.) plus élevées qu’à l’extérieur. Les effluents du diesel et le benzène sont aussi des cancérogènes avérés qui peuvent être à l’origine de cancers du poumon ou de la vessie. Et dans ces expositions aux risques chimiques, il ne faut pas négliger la nature du chargement, notamment dans les VUL où l’on retrouve des peintures, des solvants, voire de l’amiante, etc. », poursuit Julien Tonner.
D’autres types de risques existent. Les experts pointent les risques psychosociaux qui se développent du fait d’une activité exposée à un stress chronique. Les facteurs cumulés en sont la conduite et la pression professionnelle qui touche tous ceux qui doivent « tenir » des délais de livraison ou contenir des pressions exercées par la hiérarchie. Ce qui peut générer un stress chronique aggravé par certains facteurs (conducteur isolé, durée de travail/conduite, horaires atypiques) et peut provoquer des troubles du sommeil ou pire des AVC et des maladies cardiovasculaires. Évidemment, l’agressivité, surtout dans un trafic routier congestionné, n’aide pas.
Un risque peu pris en compte
Cette liste non exhaustive peut inquiéter plus d’un chef d’entreprise. Pourtant, le risque sanitaire routier ne semble pas une préoccupation majeure. Il est vrai que les analyses des coûts directs engendrés par ces maladies sont quasi inexistantes. L’administration comptabilise avant tout le nombre d’accidents du travail (650 000 par an) et peu les maladies professionnelles (77 000 par an). Et si le coût indirect de ce risque, avec des indicateurs comme l’absentéisme, le turn-over ou la qualité du dialogue social, commence à être étudié, il l’est très rarement en intégrant les causes liées à la conduite.
« Je n’ai pas de demande de mes clients sur le sujet de la santé des conducteurs, confirme le fleeteur Franck Warnet. Ce sujet n’inquiète pas les entreprises et se joue au niveau du comité social et économique (CSE, ex CHSCT). Mais il n’implique peu ou pas les gestionnaires de flotte et donc peu les conducteurs. Il faudrait que les entreprises y soient plus sensibilisées. » Même son de cloche du côté de Maxime Sartorius, dirigeant du fleeteur Direct Fleet : « Cette question de la santé au volant est abordée par les CSE. Cela fait partie du dialogue social. Ce n’est donc pas une action importante pour les gestionnaires de parc. Cela concerne plus la fonction RH. » Pour Théophane Courau, P-DG du fleeteur Fatec Group, « la santé au volant n’est pas un sujet. Le terme utilisé par nos clients est celui de la sécurité à bord d’un véhicule. Nous suivons donc les accidents de la route. Reste que le fait de renouveler les flottes, de les améliorer sans cesse, doit contribuer à diminuer le nombre des maladies liées à la conduite. »
Des entreprises pionnières

Les entreprises qui placent la santé des conducteurs au cœur de leurs préoccupations sont donc des pionnières. « Mais les employeurs vont s’y mettre, prédit Jean-Marc Coevoet, leader véhicules, outillage et logistique pour la société de rénovation énergétique (isolation, poêle, cheminée, menuiseries) Kbane, à la tête de 70 véhicules. Il y a un volet baisse des coûts et un volet santé des collaborateurs. Un salarié en bonne santé est moins absent et offre une meilleure productivité. »
Sans oublier non plus que la responsabilité du chef d’entreprise est engagée quand il est question de la santé des collaborateurs. La famille d’un salarié, ou celle du tiers blessé, victime un accident dû à un stress chronique avéré conséquence de trajets en automobile, peut se retourner contre le dirigeant avec demande de dommages et intérêts à la clé.
Pour améliorer la santé des conducteurs, la meilleure solution reste, tout d’abord, de « lancer des actions sur le long terme », avance Nathalie Tournier, responsable pédagogique de Vanberg Prévention, une société de formation à la prévention des risques routiers en entreprise. Le but est alors de lutter contre les maladies professionnelles dues à de mauvaises pratiques quotidiennes et aux addictions. « Ce processus est délicat car les salariés ne prennent pas ces menaces au sérieux. Ils ont du mal à imaginer le devenir de maladies qui se révèlent souvent sur le tard. Il faut alors faire beaucoup de prévention », complète Nathalie Tournier.
Les méthodes à suivre
La Cramif préconise une méthode en trois étapes à adapter suivant les métiers. « Il faut évaluer les risques sanitaires avec un état des lieux des déplacements, entame Julien Tonner. Pour cela, il faut tenir compte des conditions réelles de conduite avec la densité du trafic, les conditions météorologiques, la nature des trajets en zone urbaine ou non. On analyse alors les conducteurs exposés, leurs accidents matériels et corporels, leur santé. L’idée est d’identifier les facteurs de dégradation de la santé pour agir. Par exemple : acquérir des véhicules avec des boîtes automatiques pour les trajets en milieu urbain afin de limiter le risque de TMS, prendre les options sièges avec appuis lombaires, organiser les tournées afin de limiter le temps de conduite, équiper les véhicules de cloisons de séparation pour limiter le bruit généré par le chargement dans l’habitacle ou le risque chimique lié au chargement, etc. », décrit Julien Tonner. « Il faut également analyser sa sinistralité pour déterminer des axes de progrès. Un plombier n’a pas les soucis de santé d’un commercial, confirme Alain Rohel, dirigeant de La vie routière (LVR), spécialiste des formations à la conduite. Ensuite, il faut adapter les solutions à son activité. »
Pour Alain Rohel, une première mesure est d’expliquer au conducteur comment se positionner, monter et descendre du véhicule, ce qui va régler les soucis de hanche. Concrètement, le conducteur doit être en mesure de faire des manœuvres d’évitement. Assis, la paume de sa main doit arriver sur le haut du volant. Sinon, on se positionne mal. Pareillement, quand un conducteur débraie, sa fesse ne doit pas se soulever du siège. Dans le cas contraire, on est mal positionné. Avec des incidences sur la santé.
Recommandations et plan d’actions
« Dans une formation, si j’ai cinquante commerciaux dans une salle, 20 % ont mal à la hanche. La plupart du temps, cela s’explique par des sièges mal réglés », illustre Alain Rohel. Sans oublier d’aborder la fatigue et ses dangers pour expliquer les incidences du « mal manger ». « Sur la route, la plupart des conducteurs se nourrissent d’un sandwich, avec des carences alimentaires à la clé. La nutrition est importante », rappelle Alain Rohel.
On peut ensuite définir un plan d’actions avec une amélioration des plans de déplacements, l’équipement des véhicules, leur entretien, la gestion des compétences et la formation/information. Dans ce cadre, le gestionnaire de flotte doit se préoccuper le plus possible de l’activité de son entreprise. Mieux cette dernière est connue, plus il pourra proposer des solutions de soutien lombaire, des réglages d’assise, des véhicules à cabine basse ou des cloisons de séparation entre l’habitacle et l’arrière des fourgonnettes.
Autre élément complexe à gérer : la conversation professionnelle. Cette dernière accroît la charge mentale du conducteur et constitue un facteur de stress chronique : on ne peut pas être vigilant sur la route tout en parlant avec son patron. Mais la disponibilité du salarié à tout moment est une preuve d’implication et d’efficacité… Sur ce sujet, le gestionnaire de parc peut se positionner en demandant à sa direction de lui offrir une marge de manœuvre et de dialogue avec le CSE, les RH et la direction.
Parmi les entreprises, Onet fait figure de très bon élève dans sa volonté d’améliorer la santé des conducteurs. « Le véhicule est un outil de travail », explique Nathalie Da Silva, responsable prévention des risques routiers et éco-mobilité pour ce prestataire de services aux entreprises, en charge 3 900 véhicules dont trois quarts des VU.
Illustration par l’exemple

« La première mesure que nous avons prise est d’expliquer aux conducteurs comment fonctionne leur voiture avec une heure de formation systématique de prise en main. Les conducteurs ne savent pas par exemple comment se positionner pour éviter les TMS. On les sensibilise ensuite à l’éco-conduite et l’on repère, via par exemple le fait d’avoir une contravention, un accrochage ou un bris de glace, tous les conducteurs à risque. Ce sont des signaux faibles qui nous amènent les former. La santé globale de nos conducteurs s’améliore aussi en changeant notre flotte pour des modèles hybrides ou électriques », rappelle Nathalie Da Silva.
Une dernière question concerne le coût des équipements qui peuvent améliorer la santé des conducteurs. Sur ce sujet, la réponse est apportée par Hervé Foucard, chef du service technique des transports automobiles municipaux de la ville de Paris, très active dans ce domaine (voir le témoignage).
Coûts et bénéfices
« Ces équipements supplémentaires ne sont pas très onéreux : il faut compter environ 2 000 euros par véhicule, soit une hausse du coût d’un véhicule de 5 %. C’est négligeable car cela permet d’obtenir un meilleur prix à la revente, tout en réduisant le nombre de TMS et d’arrêts de travail. Dans notre service, le développement de la boîte automatique a ainsi amélioré le confort des conducteurs qui pouvaient passer une partie de leur journée dans les embouteillages à poser le pied sur le frein puis sur l’embrayage. Nous avons donc constaté une baisse des arrêts de travail suite à ces mesures », conclut Hervé Foucard. Dont acte.
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