
«Avec la sécurité routière, il faudrait adopter une démarche préventive mais la mesure est souvent curative après un accident », résume d’emblée Jean-Paul Dupoty, président du Club Sécurité Routière en Entreprises. Car quand il s’agit d’investir dans la prévention, les freins sont nombreux : une trésorerie qui fond avec la crise, l’acceptation implicite du risque routier comme « normal », l’impression que l’accident n’arrive « qu’aux autres », une méconnaissance des indicateurs, etc.
En outre, « les pouvoirs publics restent muets quand le nombre de tués diminue légèrement. Mais le nombre de jours d’arrêt de travail consécutifs à un accident...
«Avec la sécurité routière, il faudrait adopter une démarche préventive mais la mesure est souvent curative après un accident », résume d’emblée Jean-Paul Dupoty, président du Club Sécurité Routière en Entreprises. Car quand il s’agit d’investir dans la prévention, les freins sont nombreux : une trésorerie qui fond avec la crise, l’acceptation implicite du risque routier comme « normal », l’impression que l’accident n’arrive « qu’aux autres », une méconnaissance des indicateurs, etc.
En outre, « les pouvoirs publics restent muets quand le nombre de tués diminue légèrement. Mais le nombre de jours d’arrêt de travail consécutifs à un accident de la route demeure élevé, autour des 5 millions par an », souligne Alain Duneufjardin, secrétaire général d’ECF (École de Conduite Française) et vice-président de GP2R.
Sans oublier que l’absence de prévention et les accidents coûtent cher « en réparations, journées de travail perdues, perte de clients ou encore primes d’assurance », énumère Denis Tavernier, responsable quart Sud-Est pour l’ANPER (Association Nationale pour la Promotion de l’Éducation Routière). « Pourtant, pour 1 euro dépensé en sécurité routière, le gain est de l’ordre de 5 euros », affirme Grégory Libre, directeur commercial et marketing du loueur Arval France.
Peser le coût de l’accident et celui de la prévention
« A contrario, un gros accident mortel peut coûter plusieurs centaines de milliers d’euros, voire plus, et mettre une petite entreprise à terre », pointe Alain Rohel, président de La Vie Routière, spécialiste de l’éco-sécurité. Et plus les petits sinistres s’additionnent, plus la probabilité d’un accident grave s’accroît : « On compte un accident grave pour 330 sinistres, selon la pyramide de Heinrich », reprend Grégory Libre.
De fait, le risque routier est rarement identifié comme un risque à part entière, lié à un acte de travail. « Le chef d’entreprise pensera à l’amiante, aux chutes, au bruit ou encore aux poussières, mais rarement à la conduite sur route », déplore Jean-Paul Dupoty, du Club Sécurité Routière en Entreprises. Et environ 70 % des PME omettent de rédiger le document unique d’évaluation des risques professionnels ou oublient d’y intégrer le risque routier. La prévention n’en constitue pas moins une obligation légale : le chef d’entreprise doit prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs », selon l’article L.4121-1 du Code du Travail. Et en la matière, la jurisprudence se veut stricte : la faute inexcusable de l’employeur peut être invoquée s’il a connaissance d’un risque et n’a pas engagé « les mesures nécessaires ».
Pour Yann Maneyrol, directeur du centre Centaure Grand Est, « les PME prennent de plus en plus conscience que la route est un véritable risque pour les salariés mais la mise en place d’actions reste plus difficilement franchie. Cela bouge dans certains secteurs comme les services et l’aide à domicile. En revanche, c’est plus compliqué dans le BTP », remarque ce spécialiste de la formation à la sécurité routière.
L’indispensable implication personnelle du dirigeant
Ce dernier secteur du BTP reste en effet le plus « accidentogène », relève Alain Rohel. En soulignant que les sociétés entament des actions de prévention, notamment à l’initiative des syndicats, dès que les sociétés dépassent le cap des 100 salariés. « C’est plus difficile sous les 50 salariés car il n’y a pas d’obligation de mettre en place un CHSCT », constate le représentant de La Vie Routière qui mise sur le bouche-à-oreille entre patrons : « Un responsable d’entreprise convaincu par des actions de prévention en amènera dix autres. »
À ce propos, il faut souligner un élément positif en faveur de la prévention : les patrons de PME sont bien plus proches du terrain et des clients. « Ils repèrent les voitures sales et cabossés. Quand ils prennent l’initiative, la proximité du centre de décision joue favorablement, avance Alain Duneufjardin pour ECF et GP2R. Qu’il s’agisse de définir les bonnes dispositions pour éviter le téléphone portable au volant, ou bien de donner des consignes sur l’entretien et les comportements respectueux au volant, cela dépend de la volonté du chef d’entreprise. Sans cela, les formations ne servent à rien », ajoute-t-il.Alexis Raillard, co-gérant de Solutions Recyclage, une PME d’une dizaine de salariés, insiste également sur l’exemplarité du chef d’entreprise : « Il ne peut pas rouler n’importe comment ou décrocher son portable au volant ». L’implication peut aussi se traduire au travers de petites actions : « Je m’expose en affichant le téléphone de ma société sur les véhicules avec une petite phrase clé : «Que pensez-vous de ma conduite ? », illustre Alexis Raillard.
Analyser attentivement la sinistralité
Pour travailler efficacement, il reste aussi à mieux connaître la nature même des accidents. Les experts confirment cette nécessité d’analyser l’historique des dernières années, y compris les quasi-accidents. Cela aide à « personnaliser le discours comme la formation », précise Laurent Oger, dirigeant de la société de formation Prevactive.
« Environ un tiers des accidents sont dus à un défaut de distance de sécurité, et souvent liés à du stress, un tiers à des changements de direction et des déplacements mal préparés, un tiers à des manœuvres en phase de stationnement », indique Alain Duneufjardin. Autre comportement à éviter selon lui : « Partir à 4 h 00 du matin pour être sur le lieu de mission à 8 h 00, ou partir la veille à 10 h 00 du soir. »
Alain Rohel souligne pour sa part l’importance des entretiens post-accidents : « Un bon questionnaire, un bon outil d’analyse contribuent souvent à réduire la sinistralité de 30 %. Quand on discute avec les salariés, plus des trois quarts reconnaissent que l’accident était évitable. Ce type d’action est encore plus efficace quand elle est externalisée pour éviter le copinage au sein même de l’entreprise. »
Chez le transporteur TCS, le conducteur est convoqué au moindre accroc pour un entretien. Avec un objectif : comprendre l’origine du sinistre et si celui-ci aurait pu être évité. « En général, il y a toujours un signe avant-coureur, comme le véhicule de devant qui se comporte bizarrement avant de déboîter sans prévenir », explique Gilles Bourgoin, directeur d’exploitation de l’agence nantaise de TCS.
Des actions diverses autour d’un seul objectif
Et la sinistralité se mesure : avec des commerciaux, les taux devraient se situer entre 0,18 et 0,22 sinistre par véhicule et par an, sous les 0,35 dans le BTP. « Cela se calcule en incluant les petites rayures, reprend Alain Rohel. Or celles-ci ne sont quasiment pas déclarées à l’assureur qui dispose rarement des bons chiffres ».
Pour tirer la sinistralité vers le bas, les pistes à suivre se veulent par définition multiples. La première approche consiste à établir une charte du conducteur qui doit s’adapter à la situation de l’entreprise, souligne Laurent Oger, pour le prestataire Prevactive : « Il faut fixer les règles pour régir l’usage du véhicule », résume-t-il.
Autre levier à actionner : les messages récurrents de sensibilisation par e-mail, SMS ou en accompagnement des feuilles de salaire. Pour commencer, indique Grégory Libre, « il faut communiquer sur le risque routier. Mais cela suffit rarement. » Autre mesure de base : « Sensibiliser en faisant payer les amendes aux collaborateurs et responsabiliser en dénonçant les auteurs d’infractions. » Une démarche assurément efficace mais pas si simple à mener.
Pour Grégory Libre, d’Arval, qui défend son métier, l’externalisation auprès d’un loueur offre un plus en donnant la possibilité de mesurer les coûts de la sinistralité et de réaliser des benchmarks par le biais d’outils de pilotage. »
Le véhicule, premier levier de sécurité routière
Le responsable d’Arval insiste aussi sur la composition du parc et constate que les résultats en termes de sécurité dépendent des véhicules utilisés et des options intégrées comme l’ESP, le limiteur de vitesse, le radar de recul, etc.
« Dans un contexte économique contraint, les PME perçoivent toutes les dépenses comme un coût. Les équipements de sécurité constituent pourtant un investissement. Ils contribuent à renforcer la sécurité des salariés et à améliorer la productivité à moyenne échéance car ils visent à éviter ou à limiter les conséquences des accidents », complète Julien Tonner, ingénieur conseil au service prévention de la Cramif.
Mais encore ne faut-il pas oublier de vérifier le gonflage des pneus – les éclatements sont trois fois plus fréquents quand ils sont sous-gonflés – et l’état du véhicule. « Nous réalisons quotidiennement le tour des véhicules car un simple défaut sur un essuie-glace peut par exemple entraîner un problème de vision sur un angle mort », note Gilles Bourgoin de TCS. Autres pratiques mises en avant par le transporteur notamment basé à Nantes : le renouvellement des véhicules tous les deux ans « pour éviter qu’ils ne deviennent inappropriés en matière d’équipements et de sécurité », ainsi que des contrôles réguliers des tournées, en binôme, « afin de vérifier la qualité de conduite des chauffeurs ».
Dès cinquante à cent salariés, les PME organisent aussi de plus en plus des journées de sensibilisation dans leurs sites. « Nous sommes toujours plus sollicités pour ce type d’actions, déclare Yann Maneyrol, de Centaure Grand Est. Les salariés peuvent décrocher une heure ou deux de leur poste pour participer à des ateliers vidéo, des jeux cognitifs. Un petit module permet de mesurer l’impact d’une conversation téléphonique au volant sur l’attention et la perception de l’environnement. »
Des ateliers en extérieur aident de plus à comprendre les angles morts et favorisent une meilleure prise en main des véhicules. Ces journées de sensibilisation se veulent aussi utiles pour les salariés qui recourent à un véhicule entre travail et domicile. Un risque important : bien qu’aucune prévention ne soit obligatoire, les accidents lors des déplacements pour se rendre au travail sont considérés comme des accidents du travail.
Des journées de sensibilisation très efficaces
Mais avec une sinistralité élevée, la formation des conducteurs au volant reste la solution la plus efficace pour Laurent Oger. « C’est le seul moyen de modifier des comportements ancrés », ajoute-t-il. « Faire vivre les situations, cela marque durablement, confirme Yann Maneyrol. Pour comprendre l’importance des distances de sécurité et du respect des limitations de vitesse, nous positionnons sur nos plateaux d’exercices deux voitures en décalé, de côté. Quand le premier conducteur freine brusquement, le second s’aperçoit qu’il n’aurait pu éviter l’accident s’il avait été juste derrière. »
« La prévention à la sécurité routière, c’est une question de volontariat dès que les véhicules sont en dessous des 3,5 tonnes. Et c’est là où le bât blesse avec une sinistralité qui baisse moins vite chez les conducteurs de VUL », explique Denis Tavernier, de l’Association Nationale pour la Promotion de l’Éducation Routière (ANPER). Chargé de la formation des conducteurs lors du stage obligatoire lié à la prime à l’acquisition d’un VUL plus sûr – une opération des Carsat désormais terminée –, Denis Tavernier déplore un grand nombre de lacunes : « Les patrons des petites entreprises connaissent peu leurs responsabilités sur ce sujet et ignorent souvent les conséquences économiques d’une absence de prévention. »
Le cas particulier des véhicules utilitaires légers
La suppression de cette opération par la Carsat désole d’ailleurs de nombreux formateurs. « C’était le seul moyen d’approcher les petites entreprises, note Yann Maneyrol, pour Centaure Grand Est. Cette opération a cependant amené à développer des formations spécifiques axées sur les VUL, à travailler sur le chargement et l’arrimage car le comportement des véhicules chargés n’est pas le même », pointe-t-il.
« Les conducteurs ne savent pas toujours qu’ils n’ont pas nécessairement le permis adéquat pour tirer une remorque. Par exemple, si le poids total en charge dépasse 3,5 t mais reste inférieur à 4,25 t, un permis B96 est obligatoire. Ils oublient aussi qu’il n’est pas autorisé de mettre 2 t de sable dans une benne tractée par un 3,5 t », prévient Denis Tavernier. Qui milite aussi pour le témoin de charge, l’un des équipements proposés lors de l’opération des Carsat.
Sans oublier que les utilitaires modifient les perceptions, notamment visuelles. « Il faut être vigilant, entre autres aux croisements en raison des angles morts spécifiques aux VUL », rappelle Marc Figoli, fabricant de chaux naturelle en pâte à Montélimar. Ce dernier a suivi une formation dans le cadre de la prime à l’acquisition d’un VUL. Il en a retenu de petites astuces, comme la nécessité de se garer « en marche arrière, afin de pouvoir repartir en marche avant », pour une meilleure visibilité.
Dans leur démarche de prévention routière, il faut aussi souligner que les PME sont conditionnées par le contexte économique. « De nouveaux indicateurs sont motivants comme le coût des consommables et du carburant, ou l’usure du véhicule. La démarche devient alors plus éco-sécuritaire. Voire éco tout court car l’éco-conduite génère des résultats immédiats sur les dépenses de carburant », estime Alain Duneufjardin, pour ECF GP2R. Au risque d’oublier les démarches de prévention à la sécurité routière. « Cette dernière constitue une approche sur le long terme, plus fondée sur les changements de comportement, et nécessite des dispositifs qui s’étalent dans le temps alors que l’éco-conduite modifie mécaniquement la gestuelle. Il s’agit plus d’une technique », avance Alain Duneufjardin.
Formation : sécurité routière ou éco-conduite ?
« Les deux approches sont compatibles, résume de façon pragmatique Julien Tonner pour la Cramif, mais le message véhiculé auprès des employés diffère : réaliser des économies ou tenir compte de la sécurité des salariés. » Ce dernier remarque que des PME qui ont bénéficié de formations à la sécurité routière pour l’obtention d’une prime à l’acquisition d’un VUL équipé, ont parfois poursuivi la démarche en inscrivant un module complémentaire d’éco-conduite dans les séances de recyclage.
« La réflexion autour de la sécurité routière a évolué et intègre des concepts plus généraux et cohérents entre eux comme la gestion et la préparation des déplacements, l’entretien, et même l’utilité du véhicule pour certains trajets », précise Alain Duneufjardin.
« De fait, il est nécessaire d’associer la formation à une responsabilisation des salariés, à des procédures de suivi pour l’entretien des véhicules, ce qui a aussi un impact sur la consommation de carburant, souligne Yann Maneyrol pour Centaure Grand Est. Tout est lié : la conduite économique, c’est 35 % de taux de sinistralité en moins ». Un chiffre auquel il revient d’ajouter « 5 à 10 % de gain sur des coûts indirects comme l’immobilisation des véhicules, l’absentéisme, la paperasserie administrative », selon Grégory Libre. Des pistes à suivre pour les gestionnaires de parc.
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