
Suite aux restrictions sanitaires en 2020, la majorité des fabricants de composants électroniques et équipementiers automobiles ont cessé leurs activités en Europe, en Chine et en Amérique du Nord. Lors de la réouverture des usines, la demande a donc explosé pour ces semi-conducteurs essentiels à la construction de composants de sous-systèmes des véhicules (capteurs, systèmes d’info-divertissement, etc.). Les fabricants de composants ont notamment fourni en priorité le secteur médical, ce qui a installé une pénurie dont les répercussions perdurent.
Un constat que complète Semina Mezi, responsable administrative et services généraux...
Suite aux restrictions sanitaires en 2020, la majorité des fabricants de composants électroniques et équipementiers automobiles ont cessé leurs activités en Europe, en Chine et en Amérique du Nord. Lors de la réouverture des usines, la demande a donc explosé pour ces semi-conducteurs essentiels à la construction de composants de sous-systèmes des véhicules (capteurs, systèmes d’info-divertissement, etc.). Les fabricants de composants ont notamment fourni en priorité le secteur médical, ce qui a installé une pénurie dont les répercussions perdurent.
Un constat que complète Semina Mezi, responsable administrative et services généraux du Groupe Avnet France, distributeur de composants électroniques, en première ligne. « La pénurie reste un phénomène stressant que nous vivons depuis plus d’un an. Si nos volumes de commandes demeurent aujourd’hui identiques à ceux d’avant la crise, nos marges et notre chiffre d’affaires progressent. Mais nous avons du mal à nous procurer certaines pièces pour fabriquer nos produits », détaille-t-elle.
Des retards de livraison
Avec des conséquences pour les loueurs et les fleeteurs. « Nos délais de livraison se sont allongés jusqu’à onze mois en fonction des constructeurs qui ne donnent parfois pas de dates de livraison pour les véhicules fabriqués », souligne Bruno Morizur, président d’Athlon France. Des retards qui touchent aussi bien les VP que les VUL, « puisque les semi-conducteurs sont présents dans n’importe quel véhicule », poursuit-il. « Les véhicules les plus simples restent paradoxalement les plus compliqués à obtenir, et surtout les VUL », ajoute Bertrand Goudard, directeur gestion et services pour Direct Fleet. Chez ce fleeteur, les retards de livraison atteignent jusqu’à vingt mois pour certaines marques. « Contrairement à d’autres, les constructeurs asiatiques ont plutôt bien géré cette crise, sans doute parce qu’ils y ont déjà été confrontés localement il y a plusieurs années, explique Bertrand Goudard. Il y a quelques semaines, ils ont annoncé que les retards s’étaient résorbés sur leurs modèles. »
Des retards de livraison auprès des loueurs et fleeteurs qui se répercutent évidemment sur les flottes. À la tête de 145 véhicules, le Groupe Avnet France a subi des retards sur « beaucoup » de modèles en 2021 et confirme ces délais « aléatoires » en fonction des constructeurs. « Chez Mercedes, les délais s’allongent de six à neuf mois selon les modèles. BMW arrive encore à nous livrer à temps. Avec Peugeot, cela dépend : nous avons eu des livraisons expresses tandis que d’autres véhicules restent en attente », expose Semina Mezi.
Des options en option
Il y a plus de six mois, le Groupe Avnet a commandé des 5008. « Peugeot nous a indiqué qu’avec la pénurie, il ne pouvait plus livrer ce modèle. Mais le plus grand problème lié à cette crise, c’est que nous ne sommes pas toujours sûrs de recevoir le véhicule avec toutes les options demandées », reprend Semina Mezi. Ce à quoi répond signale Olivier Emsalem, directeur B2B de Free2Move, la captive de Stellantis. « L’ensemble des gammes est touché par la pénurie de semi-conducteurs. Notre groupe s’adapte et propose aux clients des solutions pour réduire les délais d’attente, par exemple en retirant des équipements non essentiels. Le but : livrer le véhicule le plus vite possible », résume-t-il.
« Des constructeurs n’ont d’autre choix que de ne pas livrer les véhicules avec les options prévues à l’origine », confirme Bruno Morizur pour Athlon. Mais certains préviennent en amont leurs clients de l’indisponibilité d’options. « Un de nos constructeurs nous a informés que le système audio Harman Kardon ne serait pas disponible. Nous avons alors rédigé un avenant au contrat puis retiré l’option afin que le véhicule arrive sans », valide Semina Mezi.
Face à ces délais, les gestionnaires de flotte peuvent cependant actionner quelques leviers. « Nos clients ont pour principal réflexe de prolonger les contrats qui arrivent à terme, en attendant la livraison d’un nouveau véhicule », note Bruno Morizur. « Dans le cas d’un délai d’obtention allongé, les équipes de Free2Move Lease ont prolongé les contrats sans conséquences sur le tarif de la location ou la maintenance des véhicules sur l’ensemble des flottes », rappelle Olivier Emsalem.
Prolonger les contrats…
En mars 2021, le Groupe Pandora, spécialiste de la transformation numérique des entreprises et des organisations publiques, a restitué et renouvelé une quarantaine de véhicules dans sa flotte de 82 VP. En janvier 2022, une voiture n’était toujours pas livrée. « Avec la pénurie de matières premières, la voiture est bloquée à l’usine et nous n’avons aucune date de livraison à ce jour. Face à la situation, les constructeurs se montrent assez conciliants et nous donnent des délais, indique Émilie Thébault, gestionnaire du parc auto et achats. Concrètement, nos contrats de 80 000 km sur 24 mois sont prolongés, après une demande d’avenant, d’une durée de six mois à un an, en attendant la livraison. »
« Nous conseillons de prolonger les contrats actuels durant cette période difficile. Mais tout dépend de la manière de rouler des collaborateurs. De plus, les entreprises ont déjà appliqué une politique de prolongation de contrats en 2020 du fait du manque de visibilité dû à la crise sanitaire », analyse Bertrand Goudard de Direct Fleet. Un constat partagé par Semina Mezi pour Avnet : « Nous n’avons jamais procédé à autant de prolongations que depuis 2020. Avec la crise sanitaire, les collaborateurs roulent moins, ce qui nous amène à prolonger les contrats au-delà de 36, 42, voire 48 mois. »
Autre solution selon nos interlocuteurs : prévoir en amont les prochaines commandes. « Nous les anticipons afin d’être livrés au moment initialement prévu. Mais cette anticipation ne peut pas être homogène d’un constructeur à l’autre. Nous conseillons aux gestionnaires de flotte de se tourner vers leur(s) loueur(s) afin de trouver ensemble la meilleure solution, enjoint Bruno Morizur d’Athlon. Des clients veulent à tout prix rester sur la typologie de véhicules qu’ils ont déjà. Dans ce contexte, nous anticipons la livraison six mois avant la fin du contrat, contre deux à trois mois auparavant. »

… et anticiper les renouvellements
À l’été 2021, Direct Fleet anticipait les renouvellements environ six mois à l’avance. « Une solution dont nous avons pu profiter pendant six semaines et que nous avons actée en septembre-octobre 2021. Mais elle est devenue caduque lorsque les constructeurs ont revu leur politique commerciale, relate Bertrand Goudard. Nous sommes aujourd’hui passés à neuf mois d’anticipation, un temps parfois insuffisant selon les marques et les modèles. »
Direct Fleet tend alors à orienter ses clients vers des marques au bon fonctionnement logistique et aux délais de livraison plus courts. Ce qui ne va pas sans difficulté. « Car le choix des véhicules dépend aussi d’une décision RH de catégorisation des collaborateurs. Pareillement, nous anticipons plus fortement les renouvellements chez nos clients qui dépendent de l’accord de la DRH. En effet, celle-ci peine parfois à se projeter longtemps à l’avance », pointe Bertrand Goudard de Direct Fleet.
Et cette révision des contrats peut se révéler complexe. « Nous nous montrons désormais plus flexibles avec les commandes qu’il faut anticiper, observe Semina Mezi d’Avnet France. Lorsque nous avons entre six à huit mois de délai, nous savons que les véhicules pourront se garder plus longtemps. Dans un contexte différent de celui de la crise sanitaire, cela aurait été plus compliqué. Mais nous nous adaptons toujours en fonction du kilométrage du collaborateur. » Au sein du Groupe Avnet, les commerciaux parcourent en général jusqu’à 50 000 km par an, contre moins de 20 000 km pour les autres collaborateurs.
Anticiper les restitutions

Le Groupe Pandora ne procède pas autrement. « Auparavant, je regardais les restitutions sur six mois. Dorénavant, je les prévois sur un, voire deux ans afin d’anticiper un renouvellement, décrit Émilie Thébault. Les postes de commerciaux présentent un turn-over élevé, ce qui complique la manœuvre. Certains partent au bout de deux ou trois ans : auront-ils encore besoin de leurs véhicules de fonction à ce moment-là ? Cela conduit à une véritable gymnastique pour gérer la flotte. Il faut vraiment s’adapter au cas par cas : plusieurs critères détermineront si le contrat sera prolongé par un avenant ou si le véhicule sera restitué. »
Et s’il suffisait de changer de modèles et-ou d’équipements ? « Pour l’instant, nos clients n’ont en général pas l’intention de se tourner vers d’autres modèles que ceux prévus. La transformation d’une politique automobile s’effectue généralement chaque semestre. Dès la fin de l’été 2021, nous avons ajusté les politiques automobiles de nos clients. Maintenant, nous nous retrouvons coincés avec ces car policies déjà obsolètes, car à contre-courant de celles des constructeurs qui ont changé de politique de leur côté », illustre Bertrand Goudard pour Direct Fleet.
Ces évolutions obligent ce fleeteur à changer de constructeurs, ce qui nécessite de relancer des études de référencement sur une durée d’un à trois mois, avec le risque d’écarter par la suite un constructeur qui ne tiendrait plus son engagement commercial initial. « De nombreux constructeurs ne s’engagent plus sur des remises annuelles mais garantissent leurs remises seulement sur trois à six mois. Nous sommes en train de revoir nos politiques et de remettre en concurrence les constructeurs. L’objectif est de voir si les positions hiérarchiques appliquées entre eux en début 2021 étaient les bonnes. Nous conseillons aux responsables de parc de remettre en question les choix faits en 2021, voire de se tourner vers des acteurs moins sollicités sur le marché des flottes », recommande Bertrand Goudard de Direct Fleet.
Revoir la car policy…
« Outre la crise de semi-conducteurs, d’autres paramètres du marché, tels les changements de la fiscalité des véhicules, touchent les entreprises. Qui peuvent y voir l’occasion de revoir leur car policy, de l’ouvrir à d’autres marques et de proposer des solutions alternatives pour contourner des délais plus ou moins longs en fonction des modèles. Les unes se focalisent toujours sur le TCO, d’autres se montrent plus volontaristes sur la transition énergétique », récapitule Bruno Morizur d’Athlon.
Free2Move encourage et accompagne les entreprises dans ce verdissement, « et ce, même hors crise. Lorsqu’un client veut commander un 2008 mais que la version voulue n’est pas disponible, nos équipes de ventes essaient le plus possible de l’inciter à aller vers une énergie plus propre. Notre service E-Mobility Advisor conseille les entreprises qui souhaitent intégrer des modèles hybrides rechargeables ou électriques dans leur parc », expose Olivier Emsalem de Free2Move.
« Mais les stratégies diffèrent selon les constructeurs pour les modèles et motorisations à privilégier à la livraison », note Bruno Morizur d’Athlon. « Les constructeurs ont effectivement tendance à favoriser la production de VP dotés des motorisations de dernière génération, hybrides rechargeables et électriques, par rapport aux vieux VP thermiques et aux VUL. Les délais de livraison se font plus courts pour les modèles hybrides et électriques. Cela pourrait encourager les entreprises à verdir les flottes mais avec une hausse de prix », complète Bertrand Goudard de Direct Fleet.
… voire la verdir
Un constat que ne partagent pas nécessairement les responsables de parc. « Je n’ai pas le sentiment que les constructeurs veulent nous pousser à commander des véhicules électriques », rétorque Émilie Thébault du Groupe Pandora. L’entreprise a récemment décidé d’électrifier sa flotte en 2022, pour tenir compte de l’évolution de la fiscalité et par souci écologique. « Si le marché de l’électrique tend à se densifier, il existe encore un stock important de thermiques. C’est pourquoi nous avons pu renouveler entièrement le parc en véhicules thermiques en mars 2021, sans aucun problème, à part pour une seule voiture restée à l’usine », reprend Émilie Thébault.
Le Groupe Avnet France a aussi verdi sa car policy. « Nous avons intégré des hybrides rechargeables dans la car policy avec un cahier des charges bien précis. De fait, cette motorisation ne se prête pas à tous les collaborateurs. Nous commençons très doucement car nos salariés ont vraiment des appréhensions. Nous débuterons avec moins d’une dizaine de véhicules hybrides rechargeables et électriques », détaille Semina Mezi. Cette responsable n’a pas non plus l’impression que les constructeurs privilégient les livraisons de motorisations alternatives. Le Groupe Avnet a enfin pour projet d’intégrer progressivement des véhicules 100 % électriques entre 2022 et 2023.
Louer en courte et moyenne durée
En complément des solutions évoquées, les gestionnaires de flotte recourent parfois à la location courte et moyenne durée. « Comme la LCD, la LMD peut offrir une alternative pour des prospects ou des clients qui ont des besoins additionnels. Une solution que nous mettons place pour faire la jonction entre la commande et la réception du véhicule », avance Bruno Morizur chez Athlon. Avec des contrats plus courts qui peuvent se montrer utiles pour des entreprises qui recrutent.
« En plus de leurs véhicules de service ou de fonction, certaines ont besoin d’une mobilité immédiate pour leurs nouveaux employés, confirme Olivier Emsalem de Free2Move. Nous offrons donc les 10 000 véhicules de Free2Move Rent en LCD (une semaine à un mois), et la prestation Car On Demand flexible et sans engagement pour accéder à un véhicule sous forme d’abonnement. Avec la pénurie de composants, nous avons une explosion de la demande ces derniers mois pour cette offre dans le secteur B2B. »
En cas d’attente d’un véhicule, le Groupe Avnet souscrit ainsi un contrat de LMD pour ses salariés en période d’essai. « Aujourd’hui, nous passons par notre loueur pour ces contrats d’un à trois mois. Mais ce n’est pas intéressant financièrement. Je suis donc en train d’évaluer s’il n’est pas plus avantageux de faire appel à un autre prestataire », réfléchit Semina Mezi.
Le Groupe Pandora opte préférentiellement pour des contrats de LLD de 24 à 36 mois, plutôt que de passer à la LCD ou la LMD. « Mais il m’est arrivé recourir à un service de LCD pour faire face à un recrutement rapide de plusieurs personnes lors d’un pic d’activité. Depuis, un partenariat a été créé avec cette société pour anticiper une éventuelle situation similaire », rappelle Émilie Thébault.
Avec un aspect financier à ne pas négliger : « Comme pour la LLD, la majorité des loueurs courte et moyenne durée ont subi des problèmes d’approvisionnement en 2020 et 2021. Ils ont donc moins de volumes disponibles. Et, face à la baisse des remises constructeurs et la hausse des prix des véhicules, ces loueurs augmentent parfois leurs tarifs, souligne Bertrand Goudard de Direct Fleet. La LCD et LMD restent cependant des alternatives pour les contrats fortement kilométrés. En général, nous évitons de dépasser les 150 000 km dans les contrats. »
Et si la crise venait à durer ?
Des solutions existent donc face à la pénurie de semi-conducteurs. Mais la question centrale reste de savoir quand cette crise va cesser. « Nous espérons une sortie la plus rapide possible car nos équipes achats travaillent déjà presque jour et nuit », relève Olivier Emsalem de Free2Move. Mais rien n’est moins sûr… Analystes, fabricants de composants et constructeurs automobiles, tous s’accordent dans leurs prévisions : cette pénurie pourrait se prolonger jusqu’en 2023. « Si la crise devait perdurer, nous nous rapprocherions de nos clients pour étudier ses impacts et leur proposer des solutions adaptées. Mais il n’y a pas de solution miracle, ce qui nous oblige à composer avec les tendances d’un marché en constante évolution », reconnaît Bruno Morizur pour Athlon.
« Outre la crise des semi-conducteurs, des matières premières et des transports, de nouveaux éléments techniques et réglementaires sont prévus en 2022. Dorénavant, des boîtes noires, des éléments de sécurité et des technologies supplémentaires seront obligatoires au sein des véhicules pour les constructeurs, alors que nous subissons déjà une augmentation des tarifs. En additionnant ces effets inflationnistes courant 2022, nous craignons que le prix d’un véhicule ou le coût de la LLD deviennent rédhibitoires et remettent en cause un certain modèle de mobilité pour les entreprises », s’inquiète Bertrand Goudard de Direct Fleet. Des évolutions qu’il va s’agir de confirmer ou de démentir dans les mois à venir.