
Comment un gestionnaire de flotte doit-il gérer un accident grave ? Comment faire face à un décès ? À un traumatisme majeur ? La question reste délicate tant les managers impliqués peuvent être nombreux et tentés de se renvoyer ce très épineux sujet. Une réponse s’est d’ailleurs répétée lors de notre enquête : « L’entreprise ne souhaite pas aborder la sécurité routière. »
De plus, les entreprises ont peu conscience des dégâts occasionnés. « Nous remarquons un certain manque d’informations de la part des employeurs, commente Catherine Mathon-Brillaud, leader de l’écosystème « Ma mobilité » chez l’assureur Allianz France. Avec pour corollaire...
Comment un gestionnaire de flotte doit-il gérer un accident grave ? Comment faire face à un décès ? À un traumatisme majeur ? La question reste délicate tant les managers impliqués peuvent être nombreux et tentés de se renvoyer ce très épineux sujet. Une réponse s’est d’ailleurs répétée lors de notre enquête : « L’entreprise ne souhaite pas aborder la sécurité routière. »
De plus, les entreprises ont peu conscience des dégâts occasionnés. « Nous remarquons un certain manque d’informations de la part des employeurs, commente Catherine Mathon-Brillaud, leader de l’écosystème « Ma mobilité » chez l’assureur Allianz France. Avec pour corollaire un manque de formation à la sécurité routière des salariés, une faible culture du risque routier et une sous-estimation des montants engendrés par ces sinistres. »
De la méthode
Un constat d’autant plus dommageable que ces drames peuvent souvent s’éviter. De nombreuses entreprises luttent ainsi contre ce fléau avec méthode. « Un gestionnaire de flotte peut revoir son catalogue auto, avance David Raffin, directeur général d’Actua Formation, spécialiste de la formation au risque routier. Il intégrera les systèmes de sécurité les plus performants et y formera ses conducteurs. » Sans oublier la nécessaire implication du management : « Un accident grave peut déboucher sur une action au pénal de la famille de la victime avec mise en cause du dirigeant. La moitié des patrons ne sont pas au courant de ce risque », rappelle David Raffin.

« Le risque routier constitue la première cause de mortalité lors d’un accident du travail. Pour le limiter, l’accident grave doit faire l’objet d’un arbre de causes pour le comprendre et faire en sorte qu’il ne se reproduise plus », ajoute le risk manager Patrick Lacroix, en poste chez le spécialiste de la maintenance énergétique Idex (3 000 véhicules) et président de la commission automobile de l’Amrae (Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise). En fonction de ce travail, des actions de correction s’imposent.
Patrick Lacroix préconise aussi d’impliquer les supérieurs hiérarchiques : « Chez nous, post-accident, un technicien est par exemple reçu par son n + 2, soit le directeur d’agence. C’est le grand chef et les liens affectifs entre eux sont moins forts. Cela sacralise ce rendez-vous avec un questionnaire ad hoc qui est proposé. Le conducteur doit, in fine, comprendre comment éviter le prochain accident car 90 % des problèmes sont le résultat d’une erreur humaine évitable. »
Prévenir plutôt que guérir
« Un process est à définir, poursuit Alain Rohel, dirigeant de La Vie Routière (LVR) et spécialiste du management du risque routier. Et cela débute par un axiome : quand l’accident arrive, c’est déjà trop tard. Le but d’un bon système reste donc de prévenir plutôt que de guérir. En entreprise, 58 % des accidents sont des accidents de manœuvre, 28 % sont dus au non-respect des distances de sécurité et 10 % à des manques d’anticipation. » Pour lutter contre les accidents de la route, il faut alors mesurer leur fréquence, soit le nombre d’accidents divisé par le nombre de véhicules, recommande Alain Rohel. « Si le taux atteint 0,6, l’accident est inéluctable. À 0,8, il surviendra dans les trois mois. Il faut donc mener une analyse de la sinistralité pour définir des axes de progrès. Rien n’est dû au hasard », avertit ce responsable.
Car pour un conducteur, la première cause de sinistre reste sa propre conduite. « Plusieurs facteurs peuvent altérer la concentration sur la route comme le téléphone portable, la fatigue ou le stress personnel ou professionnel. La conduite est un acte du quotidien tellement banalisé que certains conducteurs n’accordent pas ou plus d’importance à ces ʺperturbateursʺ qui augmentent leur risque d’être blessés ou de blesser un tiers dans un accident », constate Étienne de Font-Réaulx, directeur du département automobile du courtier et conseil en assurances Théorème. Il faut donc éduquer, rééduquer et procéder à des piqûres de rappel.
C’est la politique que mène Randstad, spécialiste des services en RH (recrutement et placement de salariés). « Lorsqu’un accident survient, la gestion du sinistre est réalisée par notre courtier. Parallèlement, un préventeur extérieur prend contact avec le collaborateur responsable ou victime du sinistre pour un échange de quinze à vingt minutes autour des circonstances de l’accident. Nos collaborateurs apprécient cette initiative qui contribue à améliorer leur conduite », expose Claire Gimel, coordinatrice du service assurances de l’entité française de Randstad, à la tête de 2 200 véhicules.
Échanger pour améliorer
C’est aussi la vision des Transports Bray (330 véhicules) qui viennent de décrocher la médaille d’or 2021 du prix de la Fondation Carcept Prev, créée par le spécialiste de la protection sociale du transport (voir aussi notre article sur Carcept Prev). Ce prix récompense les meilleures politiques de santé du secteur du transport. « Nous avons développé toute une batterie d’actions pour réduire les accidents de la route de nos salariés, précise le P-DG David Bray. Pour nous, tout passe par la prévention » (voir le témoignage).

Chez Danone, la politique de sécurité routière se met en branle dès le moindre incident, et même lorsque rien ne s’est passé… « Ce matin, un de nos salariés a connu une frayeur : son enfant a failli être touché par un conducteur reculant pour sortir de son parking », illustre Damien Hodebourg, le coordinateur santé sécurité qualité de vie au travail pour les forces de ventes France. Un événement utilisé pour rappeler la norme aux équipes : « Il faut se garer en marche arrière pour repartir en marche avant et éviter tout incident », souligne ce responsable.
« Notre système est, en outre, “ultra processé“ », reprend Damien Hodebourg. S’il y a accident avec froissement de tôle, le n + 1 est mis au courant avec le coordinateur et les RH. Avec une recherche systématique des causes et ensuite une analyse du contexte afin de repérer stress et prise de risque routier. S’il y a arrêt de travail, les n + 1, 2 et 3 sont avertis car ils animent les questions de sécurité au volant tous les jours. « Notre but est de comprendre ce qui s’est passé pour que cela ne se reproduise pas. Ce qui débouche sur des actions comme obliger nos salariés à prendre un hôtel s’ils ont un trajet de plus de 90 minutes pour rentrer chez eux après 22 h 00. Nous analysons donc tous les incidents et nous les anticipons même », conclut Damien Hodebourg.
Des procédures strictes

Mais la prévention n’évite pas toujours une catastrophe. « Il y a nécessité d’une procédure lorsque l’accident survient, pose Julien Tonner, ingénieur conseil au service prévention des risques professionnels de la Cramif, la caisse régionale d’assurance maladie Île-de France. Ce processus doit être connu des salariés avec un livret pour rappeler à tous quoi faire : les personnes à contacter, le délai pour signaler l’accident du travail, les références de la police d’assurance, le numéro d’appel, les horaires, etc. », détaille Julien Tonner.
Dans ce contexte, il faut aussi mettre en place une démarche particulière pour le chauffeur en cause. « Nous préconisons la “débanalisation“ du sinistre par la sensibilisation et la pédagogie, explique Étienne de Font-Réaulx pour Théorème. C’est l’analyse des causes qui va amener à faire prendre conscience au conducteur qu’il aurait pu éviter le sinistre. Cette réflexion post-accident peut être menée à bien par un professionnel ou par le manager du salarié s’il est préalablement formé. »
Débanaliser l’accident

Étienne de Font-Réaulx insiste sur l’importance de ne pas sanctionner les conducteurs qui acceptent de se remettre en question dans les ateliers de formation, pour qu’ils soient ouverts aux enseignements théoriques et pratiques. « Ils en ressortent toujours contents. Ce qui est constructif ! Dans un contexte adapté, la communication et l’échange possèdent la vertu de délier beaucoup de choses », complète ce responsable. Il est aussi essentiel de s’occuper du responsable de l’accident immédiatement car le risque est fort que les mêmes causes produisent les mêmes effets. « Si un accident survient, nous avons construit une procédure en deux temps », commente Nathalie Da Silva, responsable prévention des risques routiers et éco-mobilité pour Onet, société de services aux entreprises. La flotte d’Onet rassemble 4 000 véhicules, aux trois quarts utilitaires.
« Avec notre outil informatique, nous répertorions tout d’abord tous les faits reliés à l’événement : c’est une analyse à chaud qui est réalisée. Second temps, nous menons, à froid, un entretien post-accident. Ces deux moments nous amènent à recueillir le maximum de détails, à faire un arbre des causes et à analyser en quoi l’accident était évitable. Notre but est de ne pas le banaliser, quel qu’il soit. Car un tel événement est pour nous un échec, poursuit Nathalie Da Silva. D’où nos analyses avec des schémas du lieu du sinistre, l’analyse des vitesses, des limitations sur l’événement, des distances de freinage, etc. Cela aide aussi à repérer nos agences les plus “accidentogènes“ et à mieux les former » (voir aussi notre article sur Onet).
Une aide psychologique
L’accidenté peut aussi développer, post-traumatisme, un manque de confiance en lui, il peut aussi masquer ses angoisses. Cela conduira alors immanquablement à une perte de productivité. « Une aide psychologique est ainsi disponible pour les agents confrontés à un accident grave », rappelle Franck Bourdais, directeur aux infrastructures du département des Côtes-d’Armor en charge de 500 véhicules.
L’acte de bien conduire n’est donc pas inné : il se travaille et s’améliore. « Le gestionnaire de flotte doit être moteur de ces politiques de prévention, considère Nathalie Tournier, responsable pédagogique chez Vanberg, un centre de formation spécialiste des risques routiers. Il doit s’emparer du sujet pour améliorer les compétences routières des salariés avec des économies induites. Cela devrait aussi, plus égoïstement, lui permettre de prendre d’autres responsabilités avec une hausse de salaire à la clef. »
Le tout pour un coût modique : une formation à la conduite d’une journée revient à environ 150 euros en simulateur et à 300 euros sur circuit. La prévention routière est donc rentable : à cinq euros par mois par véhicule, une formation peut éviter des centaines de milliers d’euros de coûts. Dans ce contexte, la technologie peut aussi aider. Comme avec la mise en place d’éthylotests dans les voitures. « 20 % des accidents de la route sont dus à l’alcool », pointe Sébastien Berger, directeur commercial et marketing pour Olythe. Cette entreprise développe un éthylotest embarqué et connecté dont le coût est de vingt euros par mois et par éthylotest.
Des résultats tangibles

Entamées dans les années 2010, les politiques de prévention que nous avons évoquées connaissent de bons résultats. Chez Randstad, la fréquence des accidents recule d’année en année. « Ce taux était de 0,33 en 2015, relate Claire Gimel, la coordinatrice du service assurances. Il a atteint 0,24 en 2019 et 0,15 en 2020, année exceptionnelle du fait de la pandémie. Notre but est de maintenir un taux de sinistralité inférieur à 0,2, soit moins d’un accident par véhicule tous les cinq ans. Et les accidents avec une responsabilité totale de nos conducteurs sont en diminution, de 56 % en 2017 à 47 % en 2019 et 45 % en 2020 », ajoute Claire Gimel. Cela représente donc des économies importantes alors que le coût moyen par collision chez Randstad atteint 1 583 euros hors taxe (chiffre 2019).
Chez Idex, une politique de discussion-prévention avec les conducteurs accidentés a eu pour effet de réduire le taux d’accidents à la charge de l’employeur de 12 % en 2010 à 6 % en 2020. « C’est un gain de 100 000 à 200 000 euros par an », comptabilise le risk manager Patrick Lacroix. Chez Onet, les résultats se font aussi spectaculaires. En ciblant et formant spécifiquement les quinze agences qui connaissent le plus d’accidents, le nombre de sinistres, après formation-actions, est passé de 329 en 2019 à 209 en 2020. Ce qui a généré une économie de 150 000 euros.
Pour Patrick Clémens, directeur du département prévention pour le prestataire ECF Services, les gestionnaires de flotte jouent un rôle essentiel dans ce contexte : « Ils se battent parfois pour quelques euros avec le loueur. Mais suite à un froissement de tôle, ils peuvent devoir trois mensualités de frais de restitution ! L’enjeu est bien là. La prévention et la formation rapportent gros. »