
Pendant longtemps, les départements de gestion de flotte ont cru pouvoir se passer du télétravail. Trop compliqué. Pas pour nous. Trop de changements managériaux à mener. Trop de confiance à donner. Bref, les raisons pour ne rien faire étaient nombreuses. Puis le covid-19 est arrivé et toute la France, eux y compris, a décrété que le jeu du télétravail en valait la chandelle.
Porté par le confinement…
Chez les responsables de parc, la réflexion sur le télétravail a donc fait son bonhomme de chemin. Ainsi, au CHU de Bordeaux, le confinement de mars-avril a accru le nombre de salariés concernés. « Nous sommes passés de 207 télétravailleurs avant...
Pendant longtemps, les départements de gestion de flotte ont cru pouvoir se passer du télétravail. Trop compliqué. Pas pour nous. Trop de changements managériaux à mener. Trop de confiance à donner. Bref, les raisons pour ne rien faire étaient nombreuses. Puis le covid-19 est arrivé et toute la France, eux y compris, a décrété que le jeu du télétravail en valait la chandelle.
Porté par le confinement…
Chez les responsables de parc, la réflexion sur le télétravail a donc fait son bonhomme de chemin. Ainsi, au CHU de Bordeaux, le confinement de mars-avril a accru le nombre de salariés concernés. « Nous sommes passés de 207 télétravailleurs avant le covid-19 à 1 743 pendant le confinement, précise Cécile Saez, conseillère en mobilité durable et référente en télétravail de ce CHU. Le nombre de candidatures déposées lors de l’actuelle campagne Télétravail montre bien l’attente des professionnels du CHU dont les activités sont télétravaillables à exercer à domicile. »
Autre exemple : dès le début de l’été, selon une étude menée par Flottes Automobiles auprès de 264 responsables de flotte en avril-mai, 60 % des sondés souhaitaient remettre en cause leurs méthodes de travail, prendre du recul, découvrir de nouveaux outils, voire réfléchir à la transition écologique. « Il est possible de travailler sans avoir à se déplacer systématiquement chez un client ou un fournisseur en employant des outils tels que la vidéo conférence, notait l’un des sondés. On pourrait envisager plus de télétravail et moins de trajets » (voir Flottes Automobiles n° 259).
Cinq mois plus tard, on peut se demander s’il y a encore du monde à convaincre. Pour le conseil départemental des Yvelines, c’est déjà fait. La directrice des moyens généraux, Christine Galland, y gère quelque 600 véhicules et 300 camions. « Dans notre service, le confinement a imposé de mettre tout le monde en télétravail, se rappelle-t-elle. Seuls les spécialistes de l’entretien ont été amenés à intervenir pour les urgences sur le terrain durant cette période. Mais une grande partie de nos équipes, essentiellement les administratifs, a basculé dès mars en télétravail. Cette expérience a été bénéfique pour tout le monde car nous avons développé des dynamiques d’échange avec des logiciels comme WhatsApp et des réunions par Zoom », relate cette responsable.
… le télétravail s’installe
Une fois le confinement terminé, les spécialistes de l’entretien du conseil départemental des Yvelines sont revenus in situ. Mais le « distanciel » reste d’actualité pour près de deux tiers des « administratifs » qui travaillent sur les sinistres, les assurances et la gestion globale de la flotte. « Cette dynamique nous a été très profitable. Nous avons même maintenu les recrutements que nous avons menés à distance et nous avons intégré ce personnel en télétravail. Nous avons trouvé un bon équilibre impulsé par notre RH et notre service informatique », complète Christine Galland.

directrice des moyens
généraux, conseil
départemental des Yvelines
Concrètement, les gestionnaires de flotte du conseil départemental des Yvelines, déjà équipés en matériel informatique, remplissent un questionnaire afin de définir s’ils peuvent travailler de chez eux ou pas. Tout cela fait ensuite l’objet d’un entretien avec le manager et le tour est joué avec un ordinateur, un casque, un sac et un téléphone portable à la clef, mais pas de remboursement d’éventuels frais. Pour Christine Galland, l’opération est tout bénéfice : « Il faut faire confiance, bien communiquer, disposer d’outils fiables de travail à distance. Une fois cela assuré, les intérêts de télétravailler, pour le responsable de parc, sont nombreux. Cela amène à moins employer de véhicules pour certains métiers et accompagne notre politique de réduction de la flotte. Et la qualité de vie du personnel s’est améliorée. Les arrêts maladie sont désormais inexistants. Quand on me précise que le télétravail ne convient pas à la gestion de flotte, je constate tous les jours le contraire », conclut cette responsable.
C’est aussi le sentiment de Vincent Pilloy, directeur d’Inov360, un cabinet de conseil spécialisé dans les nouvelles mobilités, à l’initiative de l’enquête « Mieux comprendre l’impact de la crise de covid-19 sur la mobilité à Paris et en Île-de-France ».
Du télétravail aux nouvelles mobilités

« Le télétravail, en septembre dernier, concernait 40 à 45 % de la population pour un rythme de 2,1 jours à la maison et le reste en présentiel, souligne Vincent Pilloy. Conclusion : je conseille aux gestionnaires de flotte de s’y préparer en organisant une mobilité alternative et douce avec de l’autopartage, du vélo, du vélo à assistance électrique. » Selon ce consultant, le télétravail doit faire partie de cette réflexion pour limiter le nombre de voitures de fonction et instaurer une mobilité à base de modèles électriques pour de petits trajets domicile-travail, couplée à la possibilité de louer une plus grosse voiture pour les vacances.
Selon Vincent Pilloy, cette crise constitue donc une opportunité pour engager une vraie transformation. « Les gestionnaires de flotte doivent faire comprendre qu’un trajet de 5 km ne nécessite pas l’utilisation de 2 t d’acier. Un vélo électrique peut-il alors se substituer au véhicule de fonction ? De nombreux salariés peuvent prendre du plaisir à emprunter des pistes cyclables. Le rôle de ces responsables sera de plus en plus de fournir des mobilités avec des bornes électriques aux bons endroits, des garages à vélos quand il le faut pour un service confortable et efficace », argumente ce consultant. Cette évolution offre aussi de nouer des liens avec l’ensemble des services impliqués : RH, services généraux, achats, etc. « Et aux gestionnaire de flotte de se positionner en responsables de ces missions liées à la mobilité », ajoute Vincent Pilloy.
Engie Solutions s’y met
Pour ces gestionnaires, la fin du confinement a de fait offert de développer une politique incluant du télétravail. C’est le cas pour Hichem Bardi, directeur fleet et logistique d’Engie Solutions, spécialiste de l’efficacité énergétique. « Nous avons alors vérifié que chaque collaborateur était équipé d’un téléphone et d’un ordinateur portable pour travailler à distance. La majorité de l’équipe étant déjà munie du nécessaire, peu d’équipements ont dû être fournis. Nous avons ensuite travaillé avec la DSI pour que nos collaborateurs accèdent à distance aux serveurs et données communs », relate Hichem Bardi, en charge de 28 000 véhicules.
Chez Engie Solutions, une fois le matériel fourni et l’accès aux données garanti, des réunions via Teams ont été établies dans un dernier temps pour assurer un échange régulier au sein de l’équipe. « Pendant le confinement, nos collaborateurs ont travaillé à distance toute la semaine, décrit Hichem Bardi. Post-confinement, le groupe Engie a établi un rythme standard de deux jours en présentiel et trois jours en télétravail, avec obligation de ne pas dépasser une capacité de 50 % des surfaces de bureau occupées » (voir le témoignage).
Se mettre au télétravail nécessite aussi d’appliquer une méthode détaillée par Édouard Robin, sociologue chargé de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), et spécialiste du télétravail. « Je préconise quatre mesures principales, explique-t-il. Tout d’abord, le manager doit considérer le “home office“ comme un mode d’organisation de l’activité, pas un dispositif RH. Il faut ensuite construire le cadre du télétravail en associant salariés et partenaires sociaux dans une démarche participative », rappelle ce sociologue.

Expérimenter puis appliquer
Troisième point mis en avant par Édouard Robin : mener des expérimentations pendant quelques mois et mesurer le retour d’expérience pour identifier ce qui fonctionne en nombre de jours de présentiel, ce qui ne fonctionne pas selon les services, ce que l’on garde et ce que l’on supprime. « On conclut par une analyse de ce qui doit changer en termes de management, de contrôle, de reporting. Le management par la confiance devrait alors s’imposer. Mais c’est parfois peu évident pour certains supérieurs hiérarchiques », note Édouard Robin.
Pour aller plus loin, l’Anact publie des webconférences sur ce sujet, consultables en replay : « Comment améliorer les pratiques de télétravail dans mon entreprise », « Télétravail : comment évaluer et réguler la charge de travail ? » ou « Fonction publique : six points d’attention pour pérenniser le télétravail ».

manager senior, AlterNego
Il est aussi indispensable de cadrer légalement le télétravail. C’est le conseil de Pierre-Yves Goarant, manager senior pour AlterNego, un cabinet de conseil et de formation en RH. « On doit bâtir un accord avec les télétravailleurs, sous la forme d’une charte, d’un accord d’entreprise avec les organisations syndicales représentatives ou d’un simple accord avec le salarié. Ce peut être un échange d’e-mails stipulant l’accord des deux parties. Il n’y a plus besoin d’avenant au contrat de travail. Je préconise de passer un accord car cela amène à construire un début de dialogue social sur un sujet fédérateur, sur une négociation simple où tout le monde est gagnant », recommande Pierre-Yves Goarant.
Résoudre les contraintes techniques
Ce fonctionnement peut déboucher sur des actions intéressantes, sur une durée de télétravail pour laquelle l’Organisation international du travail (OIT) conseille de ne pas dépasser le travail en présentiel, et où les mieux-disant permettent à leurs salariés d’avoir la main sur l’organisation du télétravail, sa planification à la semaine et son organisation.
Enfin, pour réussir le passage au télétravail, la partie technique a toute son importance. Ce que souligne Patrick Neveu, co-fondateur de Signos, une société de conseil et de formation spécialisée dans l’aide à la mise en place du télétravail. « Je préconise d’abord d’équiper le salarié numériquement avec des logiciels de serveurs partagés, des logiciels de visioconférence, de chat, etc. Puis de définir des méthodes pour télétravailler. Comment collaborer à distance ? Comment animer une réunion à distance ? Comment prendre des décisions à distance ? », expose Patrick Neveu.
Qui conclut en conseillant d’agir sur trois leviers : « Le partage d’informations et de communication à distance avec les outils comme Klaxoon, Beekast ou Zoom, les méthodes de collaboration à distance avec des applications comme MindManager ou Trello, et la répartition des activités entre les moments en présentiel et à distance. Cela implique aussi un management plus participatif, plus collaboratif, plus responsabilisant et plus autonomisant » (voir le témoignage).
Malgré toutes ces précautions, des télétravailleurs et des managers peuvent ne pas y trouver leur compte. « Des collaborateurs parmi les plus isolés ont demandé à travailler en présentiel plus régulièrement, voire à temps plein, observe Hichem Bardi pour Engie Solutions. Le télétravail peut limiter les interactions, formelles et informelles, entre les différents services et les équipes. Ce qui peut générer des pertes en efficacité. »
Des démarches prudentes

logistique, Nantes Métropole et ville de Nantes
Pour ces raisons et pour beaucoup d’autres, des responsables de parc ont décidé de procéder en douceur. Ce que confirme Cyrille Collet, ingénieur de formation et directeur logistique de Nantes Métropole et de la ville de Nantes. Ce dernier manage 90 salariés et gère 1 650 véhicules. « Dans mon service, sept salariés sont en télétravail. J’y vais prudemment pour mesurer l’impact de cette façon de travailler sur le collectif, le management et sur les collègues qui ne télétravaillent pas », décrit-il. Pour les télétravailleurs, le rythme choisi à Nantes est celui d’un jour à la maison pour quatre jours sur site. « Les agents qui habitent loin ont alors moins de temps de transport », complète ce responsable.
Les salariés du service de la gestion de flotte du département de la Moselle, à Metz, sont, eux, tous revenus au bureau une fois le confinement terminé. « Nous ne voyons pas l’utilité du télétravail », résume Thierry Fristot, directeur de l’environnement de travail, de la mission de la mobilité et du pilotage de la flotte automobile au sein de la direction générale des moyens généraux.

Thierry Fristot gère 407 véhicules dont 98 % en propriété avec un garage en régie. « Contrôler et réparer des véhicules à distance n’est pas envisageable. Nos quatre mécaniciens, un apprenti et un réceptionniste en atelier se doivent d’être présents dans nos locaux tous les jours. À cela s’ajoute la tenue d’une astreinte en soirée et les jours non travaillés », avance ce responsable.
Il en va de même pour la salariée chargée de la gestion administrative de la flotte. Cette personne assure, en binôme avec d’autres agents, des missions mutualisées de gestion des stocks de divers moyens généraux, avec la réception des livraisons et la préparation des commandes pour des sites. « Pour nous, la plupart des fonctions de la flotte ne sont pas télétravaillables et nos salariés habitent tous à moins de vingt minutes de leur bureau sans contrainte d’accessibilité », ajoute Thierry Fristot.
Prévenir les risques

fondateur, StopMarcel
Voilà qui explique certaines défiances envers le télétravail. D’autres sont apparues cet été. Le home office n’est pas sans danger. « Il existe de véritables risques de débordement du travail sur la sphère privée avec des journée à rallonge, des coups de fil à 20 h 00. C’est fréquent, prévient Thierry Della Rovere, fondateur de StopMarcel, un site de prévention contre les risques psycho-sociaux et le harcèlement au travail. Il faut ajouter à cela des managers mal ou pas formés qui développent une pression à l’encontre de salariés à qui l’on impose un reporting incessant. Mon conseil, conclut-il, est de télétravailler deux jours au plus. Au-delà, cela commence à être compliqué. » À méditer.
Dossier - Télétravail : la gestion de flotte s’y met
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