Auprès des gestionnaires de flotte, le télétravail ne déclenche pas nécessairement l’enthousiasme. « Je ne suis pas 100 % favorable à ce type de management, répond d’emblée Semina Mezi. Le responsable de parc doit effectuer tant de tâches… Je ne pense pas que l’on puisse les mener à bien de chez soi. J’ai besoin d’être en contact avec mes collaborateurs, avec des opérateurs pour récupérer les véhicules », poursuit cette gestionnaire des 140 véhicules des flottes d’Avnet et d’EBV Elektronik, deux spécialistes des composants électroniques basés à Massy en Île-de-France.

Semina Mezi...
Auprès des gestionnaires de flotte, le télétravail ne déclenche pas nécessairement l’enthousiasme. « Je ne suis pas 100 % favorable à ce type de management, répond d’emblée Semina Mezi. Le responsable de parc doit effectuer tant de tâches… Je ne pense pas que l’on puisse les mener à bien de chez soi. J’ai besoin d’être en contact avec mes collaborateurs, avec des opérateurs pour récupérer les véhicules », poursuit cette gestionnaire des 140 véhicules des flottes d’Avnet et d’EBV Elektronik, deux spécialistes des composants électroniques basés à Massy en Île-de-France.

Semina Mezi précise que son employeur autorise le télétravail à raison d’une journée par semaine au maximum, pour tous les salariés. « Tout le monde y a droit, ajoute-t-elle. Il faut effectuer sa demande sur l’intranet de gestion des congés. Cela permet à certains d’être plus au calme pour réaliser des devis, de l’administratif ». Des tâches que l’on retrouve avec la gestion de flotte puisque Semina Mezi prend parfois des demi-journées de télétravail « mais pas un jour entier et une fois par mois tout au plus, précise-t-elle. Il s’agit par exemple de rédiger des dossiers chez moi ; ma productivité est alors plus importante car je ne suis pas dérangée. Mais j’ai besoin de mon environnement. Je pense que le télétravail ne convient pas au gestionnaire de flotte, sauf exceptionnellement. Ou si l’on habite loin de son lieu de travail, ce qui n’est pas mon cas. Travailler dans mon bureau me donne l’impression de maîtriser les missions que j’ai à remplir », reprend Semina Mezi. Qui conclut : « Mais avec des temps de transport domicile-lieu de travail toujours plus longs, on peut aussi considérer que le télétravail sera la solution d’avenir. »
Les gestionnaires de flotte à reculons
Cette réticence est aussi de mise chez SGS. Dans ce groupe spécialiste de l’inspection, du contrôle, de l’analyse et de la certification, le télétravail est un droit pour les salariés. Mais les responsables de parc n’ont pas demandé de télétravailler. « Pourtant, certaines de leurs missions sont “télétravaillables“, note Caroline Arquié, la directrice des ressources humaines. Il n’y a pas de contre-indication mais ils n’ont pas fait de démarches en ce sens. Le système fonctionne sur la confiance. Un salarié peut arriver au bureau entre 7 h 30 et 9 h 30 et repartir dès 16 h 00. L’important est de bien faire son travail. Ceci explique aussi pourquoi des services n’éprouvent pas le besoin de télétravailler. »
Faire changer les mentalités
Pour Semina Mezi, le télétravail n’est pas perçu « comme un fonctionnement normal. C’est compliqué de faire bouger les mentalités. En résumé, l’image du télétravail implique, à tort, une forme de fainéantise, de manque de motivation. D’où une frilosité qui est moindre dans notre entreprise américaine », explique cette gestionnaire des flottes d’Avnet et d’EBV Elektronik, deux spécialistes des composants électroniques. « Le télétravail s’adresse à tous les salariés pouvant exercer leurs activités à distance. Et on ne doit pas parler d’emploi mais bien d’activités. Pour la gestion de flotte, tout l’administratif, les appels d’offres peuvent ainsi être réalisés à distance. Il faut lutter contre le présentéisme à la française avec sa méfiance, ses heures de bureau à rallonge quand le chef est là. C’est notre société de défiance », confirme Jérôme Chemin, secrétaire général adjoint de la CFDT Cadres. Ce syndicat en pointe sur la question du télétravail a d’ailleurs publié un guide d’une centaine de pages sur la question (Négocier et organiser le télétravail).
Peut-on rester en contact à distance ?

« Nous discutons pour que nos salariés puissent disposer de 24 jours de télétravail par an. Le télétravail constitue un très bon moyen de diminuer le bilan carbone d’un employeur ou son accidentologie. Il évite aussi des trajets deux à trois fois par semaine. C’est le “top“ ! », souligne pour sa part Bruno Renard, chef du service vie du centre, coordonnateur de la responsabilité sociétale de l’entreprise pour le CEA de Grenoble, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.
Mais Bruno Renard apporte une nuance lorsqu’il est question des gestionnaires de flotte : « Ce n’est pas la population la plus concernée car ces responsables ont une activité de coaching personnalisé, de sensibilisation auprès des collaborateurs pour changer de comportement. Cela demande d’être au bureau. »
Mais n’est-il pas possible de réaliser ce coaching par téléphone ? Après une courte réflexion, Bruno Renard acquiesce : « C’est effectivement possible de télétravailler dans ce cas. Mais j’aime avoir mes troupes avec moi. Les gestionnaires de flotte ont de multiples missions de contact. Le télétravail peut ne pas convenir même s’il est vrai que le cœur du problème reste une question de confiance entre manager et managé. Il faudra que l’on évolue sur ces questions car tout ce qui touche le reporting est réalisable de son domicile. »

Alors qu’ils sont de plus en plus responsables de la mobilité au sens large, les gestionnaires de flotte illustreraient-ils l’adage selon lequel les cordonniers seraient les plus mal chaussés ? « Alors que leur travail est de mener la politique de mobilité, de gérer la car policy et de promouvoir un déplacement le plus durable possible, il y a effectivement un paradoxe à se défier du télétravail et à imposer de venir au bureau tous les jours. Toutes les fonctions supports – et la gestion de flotte en est une – sont pourtant télétravaillables », commente Xavier de Mazenod, fondateur de www.zevillage.net, site de référence sur les nouvelles organisations de travail.
Dans d’autres entreprises, le télétravail des gestionnaires de flotte est pourtant une vieille histoire. Chez Orange, ce mode de management existe depuis près de dix ans. À la tête de quelque 18 000 véhicules et 80 salariés dont une dizaine travaillent à la direction de la gestion des flottes automobiles, Hélène Billon, la directrice Facilities & Mobility Management de l’opérateur, se dit « favorable au télétravail pour plusieurs raisons. » Parmi ses arguments, « et non le moindre », elle met en avant « le fait de limiter, en abaissant le nombre de trajets domicile-bureau, les émissions de polluants de type CO2 et autres particules fines. »
Une organisation personnelle repensée
« Il n’y a rien que je ne puisse réaliser de mon domicile par rapport à mon bureau. Je travaille même beaucoup plus, car, lève-tôt, je débute ma journée à 8 h 00 du matin et je peux continuer à travailler pour terminer ce que j’ai à faire », argumente Élisabeth Munoz, soutien aux gestionnaires du parc automobile d’Orange. Pour communiquer, elle utilise tous les moyens et a pris l’habitude de saluer tous les matins ses collègues via les divers outils de communication à sa disposition.
« Le télétravail m’est maintenant indispensable. C’est un bien-être pour moi et le terme n’est pas un vain mot pour le groupe. Je suis une convertie au télétravail car cela m’a permis de retrouver un confort dans ma vie professionnelle », souligne Élisabeth Munoz. Pour Metro France, Delphine Hanquier constate que le télétravail l’a poussée à numériser son fonctionnement : « Il n’est plus question que je transporte des dossiers papier. Cela a donc amélioré mon efficacité. Nous travaillons maintenant sur des dossiers en ligne mis en commun via l’informatique. Je peux les partager avec d’autres services », expose cette chargée de la flotte automobile et de la mobilité.
« C’est une évolution de notre mode de travail qui va vers une meilleure organisation. Bref, le télétravail est rapidement rentré dans nos mœurs. Mon N + 1 et mon N + 2 s’y sont mis. Notre management ne considère pas que le présentéisme fasse partie des valeurs de l’entreprise. Le principal est d’être efficace. Pour toutes ces raisons, je n’aimerais vraiment pas revenir en arrière. Ce télétravail est très important pour moi car il contribue à améliorer la qualité de mes dossiers », conclut-elle.
Un argument écologique et social
Un argument écologique qui se double d’un argument social. « En travaillant de chez eux, mes gestionnaires de parc évitent des déplacements et de la fatigue inhérents à des trajets de transport allant jusqu’à trois heures par jour en région parisienne. De ce fait, second argument, les gestionnaires qui télétravaillent se montrent plus productifs. J’en veux pour preuve qu’il n’est pas rare de les voir débuter leur journée aux alentours de 8 h 30 ; lorsqu’ils ont des trajets pour se rendre à leur travail, ils commencent plutôt à 9 h 00. Nous fonctionnons donc sur un rapport gagnant-gagnant », énumère Hélène Billon. En rappelant que chez Orange, les responsables de parc peuvent télétravailler de chez eux ou d’un tiers-lieu : « Cela supprime le possible inconvénient du télétravailleur qui peut se sentir isolé. »

Dans la gestion de flotte, des réticences contre le télétravail proviennent de managers rencontrant des difficultés à déléguer, à faire confiance. En résumé, ils souhaitent voir, tous les jours, leurs équipes. « Et ils sont nombreux, constate Hélène Billon d’Orange. Pour eux, gérer du personnel à distance est loin d’être une évidence. Ils ont de plus peur de perdre leur pouvoir. Ils veulent marquer leur territoire. Je le leur répète : quand on peut faciliter les déplacements de son équipe et alléger son niveau de fatigue, il faut le faire. C’est tout bénéfice pour avoir des salariés moins fatigués, moins énervés. Mon conseil est alors de faire confiance à ses équipes », détaille cette responsable. Et si l’on voit que cela se passe mal, il sera toujours possible de revenir en arrière, pointe Hélène Billon : « Des salariés ont effet du mal à gérer l’autonomie nécessaire au télétravail. Mais la plupart du temps, tout se passe bien. Depuis 2001, un seul salarié m’a posé problème. »
Le télétravail pour mieux se concentrer

Son de cloche identique pour Mélaine Pouchain-De Vita chez Metro France. Ce grossiste en alimentaire et en équipements a opté pour une journée de télétravail par semaine depuis janvier 2019. Responsable des services aux collaborateurs, Mélaine Pouchain-De Vita gère les 800 véhicules, les déplacements, la maintenance du siège, les déménagements-aménagements, etc. « Le télétravail est une forme de management intéressante, précise-t-elle. Tout récemment, j’ai travaillé de chez moi. Je peux alors me concentrer, être moins sollicitée et me consacrer à des dossiers compliqués (cahier des charges, budget) ou à l’organisation du planning. Bénéficier de ces moments de calme est une bonne chose. »
Un constat également valable pour les collaborateurs de Mélaine Pouchain-De Vita : « Avec le télétravail, mes collaborateurs, dont la chargée de mobilité, peuvent se concentrer sur des projets, se pencher sur des tâches qui demandent du calme, de la prise de distance. Au bureau, nous travaillons à cinq dans un espace partagé où les passages peuvent être nombreux. »
Passons la parole à Delphine Hanquier, la collaboratrice que Mélaine Pouchain-De Vita vient d’évoquer : « Récemment, nous avons lancé un appel d’offres pour développer une autre forme de location. Le télétravail me permet de réfléchir à ce nouveau projet, de prendre du recul. Le fait de ne pas être au bureau autonomise aussi mes collaborateurs. Depuis janvier, j’ai le sentiment de pouvoir prendre du recul, d’avoir moins la tête dans le guidon. Cela a aussi développé ma créativité. Je travaille mieux ces jours-là. Et ce que j’entreprends, je le finis le jour même », expose cette chargée de la flotte automobile et de la mobilité pour Metro France.
Des freins à lever
Chez Metro, l’apport du télétravail paraît donc très positif. « C’est aussi avantageux pour le bon fonctionnement de la gestion de la flotte. Ma manageuse fait un point hebdomadaire le lundi sur l’avancée des dossiers. Elle sait que je vais avancer le jeudi sur ces questions stratégiques qui constituent ma principale valeur ajoutée », souligne Delphine Hanquier. Mélaine Pouchain-De Vita ne dit pas autre chose : « Nous avons fait avec l’équipe un retour d’expérience. Nous sommes satisfaits de ce mode de fonctionnement. La concentration est meilleure et le temps de trajet domicile-travail se réduit pour certains. C’est aussi l’occasion de développer notre marque employeur et les candidats sont attachés au fait de pouvoir choisir le télétravail. »
Pour développer le télétravail chez les gestionnaires de flotte, il faut donc lever des freins pour la plupart psychologiques. Le premier reste lié à la confiance à instaurer entre managers et managés. « C’est surdéterminant. Le fait de travailler avec des collaborateurs à distance est une prise de risque pour le dirigeant qui peut perdre en légitimité et leadership », considère Daniel Ollivier, directeur associé de Thera Conseil, société nantaise de conseil en management et auteur de Manager le travail à distance et le télétravail aux éditions Gereso (2017). Et le télétravail peut parfois être un cadeau empoisonné pour l’employé qui travaille seul ; se posera alors la question de son autonomie.
Avant tout, une question de confiance
Pour Mélaine Pouchain-De Vita de Metro France, le manager doit faciliter le télétravail si le besoin s’en fait sentir. « Le manager doit se préparer, ajoute-t-elle. Tout d’abord, il doit avoir confiance en ses collaborateurs, c’est essentiel. Il doit considérer ensuite que la gestion de flotte est évidemment télétravaillable. Avec le téléphone portable, les connexions sécurisées et l’ordinateur, il n’y a pas de contre-indication. Il faut ensuite préciser des règles et être organisé en télétravaillant, par exemple avec un jour précis où l’on établira les réunions de service et d’équipe. Sinon, cela va être compliqué. Enfin, je conseillerais au directeur de flotte de savoir lâcher prise. Tout surveiller n’est ni possible ni souhaitable. La confiance est importante. »
Le second écueil est celui de la mise en place du système. Le télétravail doit se développer progressivement. Il faut commencer par un jour puis monter en puissance si besoin, afin de maîtriser un processus complexe. Car managés et managers doivent savoir que le télétravail change les manières de travailler. Alors qu’il est plus difficile de réagir rapidement, le manager se présente comme un entraîneur de sport sur le banc de touche ; il faut faire confiance à ses joueurs qui exercent leur métier dans un système pensé et organisé en amont.
Dossier - Télétravail : les gestionnaires de flotte s’y mettent doucement
- Télétravail : les gestionnaires de flotte s’y mettent doucement
- Delphine Hanquier, Metro France : « Se concentrer sur des tâches stratégiques »
- Christine Lesueur, Konecranes France : « Un meilleur équilibre vie personnelle-vie professionnelle »
- Élisabeth Munoz, Orange : « Le télétravail pour mieux travailler »