Parmi les modèles technologiques à l’étude pour assurer la connectivité des véhicules, la FIA (Fédération internationale de l’automobile) plébiscite la plate-forme télématique ouverte et embarquée. « Soutenue par les consommateurs et les réparateurs multimarques, cette solution reste neutre technologiquement et n’exige pas d’investissement supplémentaire de la part des constructeurs », a argumenté Diogo Pinto, directeur au sein de la FIA Région 1, lors des débats organisés par l’Observatoire MAP des experts de la mobilité.
En revanche, le véhicule étendu ne semble pas avoir les faveurs de la FIA. Dans ce cadre, les données sont stockées dans...
Parmi les modèles technologiques à l’étude pour assurer la connectivité des véhicules, la FIA (Fédération internationale de l’automobile) plébiscite la plate-forme télématique ouverte et embarquée. « Soutenue par les consommateurs et les réparateurs multimarques, cette solution reste neutre technologiquement et n’exige pas d’investissement supplémentaire de la part des constructeurs », a argumenté Diogo Pinto, directeur au sein de la FIA Région 1, lors des débats organisés par l’Observatoire MAP des experts de la mobilité.
En revanche, le véhicule étendu ne semble pas avoir les faveurs de la FIA. Dans ce cadre, les données sont stockées dans des serveurs distants sur lesquels les constructeurs peuvent garder la main. Selon la FIA, ce modèle fait peser un surcoût considérable sur les consommateurs et empêche les prestataires indépendants d’offrir des services de maintenance plus compétitifs. « Ce surcoût pourrait atteindre 65 milliards d’euros par an en 2030 », a avancé Diogo Pinto (voir l’encadré ci-dessous).
L’ensemble des constructeurs européens ont pourtant adopté le standard du véhicule étendu ou s’apprêtent à le faire. Pour Jocelyn Delatre, directeur des nouvelles mobilités de l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), les possibilités offertes par ce standard sont méconnues : « D’autres interfaces cohabiteront avec l’interface web, a-t-il affirmé. Il est faux de dire que ce standard interdit aux fournisseurs de services de proposer des applications dans le véhicule ».
Des données pour la maintenance
« La donnée intervient au sein d’un marché automobile amont et aval de 1 000 milliards d’euros, a rappelé Stéphane Derville, responsable innovation et recherche de Mobivia, spécialiste de l’entretien de véhicules multimarques (Norauto, Midas, etc.) et acteur des nouvelles mobilités. Ce marché pèse 13 millions d’emplois en Europe et s’adresse à 320 millions d’automobilistes. »
Avec la donnée, il s’agit de créer de la valeur tout en développant une logique de plate-forme commune. Mobivia appelle donc à créer un cadre propice à l’émergence d’une concurrence loyale, d’une neutralité technologique et d’une régulation des prix. Le but : éviter toute mesure discriminatoire dans les protocoles d’accès à la donnée. En d’autres termes, la standardisation devrait offrir à tous les acteurs d’exploiter les données. « Unifier les systèmes et les rendre interopérables ne remet pas en question la sécurité », a insisté Stéphane Derville.
Mobivia propose ainsi une « architecture embarquée partitionnée » avec un espace réservé au constructeur pour gérer l’intelligence et les fonctions critiques du véhicule, et un espace plus ouvert pour développer des applications et des services connectés. Entre les deux, un autre espace à l’accès restreint permettra notamment de réaliser les opérations de maintenance.
Les constructeurs, gardiens du temple
Contrairement au smartphone sur roues souvent évoqué pour décrire la voiture connectée, cette dernière n’est pas devenue un ordinateur portable. La raison d’être du véhicule reste de transporter des personnes d’un point A à un point B de la manière la plus sûre possible. « Même si le véhicule devient connecté, le système doit rester fermé pour des raisons évidentes de sécurité, a fait valoir Jocelyn Delatre. Les constructeurs doivent en contrôler l’accès car leur responsabilité est engagée lorsqu’un problème survient. Tant que cet état de fait perdurera, ils se doivent d’être les gardiens du temple. »
Pour que les différents acteurs accèdent au système, les constructeurs veulent faire respecter des règles strictes tout étant ouvertes à tous. L’article 32 de la loi d’orientation des mobilités (LOM) instaure d’ailleurs un accès dit « non discriminatoire ». L’ACEA reprend ce terme dans ces documents de positionnement depuis décembre 2016. Pour les constructeurs et au regard du droit à la concurrence, il est normal que l’accès soit ouvert à tous les prestataires mais cette possibilité ne doit pas remettre en question les règles de sécurité.
Les constructeurs rappellent aussi les contraintes techniques et financières de l’extraction des données. Les possibilités ne sont pas extensibles et le véhicule possède une capacité de stockage étudiée au plus juste en fonction de ses besoins. Dans ces conditions, le modèle du stockage externe distant s’impose et se montre beaucoup moins coûteux qu’une solution interne. De plus et au regard du RGPD (règlement général de protection des données), le stockage soulève des questions en tant que tel.
La plate-forme télématique
Point d’achoppement avec la FIA, une plate-forme télématique interne au véhicule n’est pas neutre technologiquement pour l’ACEA. « Une solution technologiquement neutre est une solution qui impose des obligations au constructeur mais lui laisse le choix de la technologie pour les satisfaire, a détaillé Jocelyn Delatre. Une plate-forme standardisée, interopérable et commune à tous les constructeurs ne peut revendiquer cette neutralité. » Plus précisément, pour l’ACEA, cette plate-forme télématique interne obligerait les constructeurs à redéfinir l’architecture de leurs véhicules avec des investissements colossaux à la clé. Pour ces raisons, l’ACEA demande une législation neutre sous l’angle technologique.
Autre difficulté pour les constructeurs, la standardisation irait à l’encontre de la concurrence. Elle les obligerait à employer les mêmes composants. Pour échapper à cet inconvénient, les constructeurs ont choisi de travailler sur l’interprétation des données et non sur l’architecture du véhicule. L’idée : développer des partenariats avec des serveurs indépendants sur lesquels les informations seraient regroupées, mises en forme, anonymisées si besoin et mises à la disposition de tiers. « Cette solution satisfait les prestataires de services sans obliger les constructeurs à standardiser leurs architectures, a avancé Jocelyn Delatre. Mais lorsque les boîtiers seront installés sur les véhicules, les débrancher et en installer d’autres sera difficile. »
Le point de vue des experts automobiles
De leur côté, les experts automobiles souhaitent obtenir des données essentielles à la réalisation de leur mission et à la protection du consommateur. « Si la donnée échappe aux experts, aux assureurs et aux consommateurs, a mis en garde François Mondello, président de l’Alliance nationale des experts en automobile (ANEA), il sera impossible d’établir un diagnostic pertinent et cohérent pour déterminer les responsabilités dans un sinistre. »
Les experts automobiles sont sereins quant à la future législation. Le point 6 de l’article 32 de la LOM déjà évoqué précise que ces experts auront un accès aux données sans que ne soient précisés la nature des données et le mode d’accès. Quoi qu’il en soit, en matière d’expertise, la valeur ajoutée de la donnée sera technique et non économique comme c’est le cas pour d’autres secteurs de l’univers automobile. Mais ces experts s’inquiètent d’une propriété exclusive de la donnée réservée aux constructeurs ou à l’un des Gafa. « Ce modèle peut poser problème lorsque le consommateur veut obtenir des informations précises sur un accident dans l’intention de définir plus précisément les responsabilités », a alerté François Mondello.
Quoi qu’il en soit, la donnée n’a une valeur qu’en fonction du service qu’elle va permettre de valoriser auprès des conducteurs. « Les industriels sont indispensables dans cette chaîne de valeur, a observé Éric Mevellec, président de Dreev, filiale d’EDF spécialisée dans la recharge des véhicules électriques. À travers leurs marques commerciales, ils ont la confiance des consommateurs. » Un point d’autant plus important lorsque les données acquièrent un caractère personnel et quand la technologie présente un risque d’intrusion dans la vie privée.
Le point de vue des assureurs
Les assureurs sont eux aussi directement impliqués dans ce débat car l’analyse des comportements accompagne la prévention des risques. « Les données peuvent mettre en évidence des vitesses trop élevées à l’approche d’un virage et servir à prévenir le conducteur avant que ne survienne un accident », a expliqué Yann Arnaud, directeur innovation offres et produits incendie accidents risques divers (IARD) pour la Macif et président de la commission numérique de la Fédération française de l’assurance (FFA).
Avec le modèle du véhicule étendu, les assureurs déplorent la latence et la trop faible fréquence avec lesquelles les données leur seront restituées. Et fustigent le manque de granularité. « Ce modèle intéresse un assureur pour seulement 1 % des services qu’il voudra développer demain », a regretté Yann Arnaud. Sur ce point, le CCFA s’inscrit en faux et cite une expérience en cours avec Actia, avec des données accessibles en temps réel et un niveau de détail suffisant.
Quoi qu’il en soit, Yann Arnaud a appelé à consulter le rapport du CCFA « Données du Véhicule connecté et concurrence : quels enjeux économiques et juridiques ? » sur le site internet de cette organisation. « Les constructeurs évoquent des discussions ouvertes et le partage des données, mais, dans les faits, leur position n’est pas aussi claire, a-t-il souligné. À titre d’exemple, le rapport indique que les données sont une aubaine pour les autres acteurs que les constructeurs. Et rappelle que les constructeurs ont été les seuls à investir pour le moment et que les autres acteurs devront payer. Je ne refuse pas de payer mais je veux savoir sur quelle base et pour quels services cette transaction se fera alors que le consommateur a déjà acheté le système inclus dans le prix du véhicule. »
Les assureurs alertent aussi sur le caractère personnel des données et leur exploitation par les constructeurs. Comme l’a établi la Cnil, une information d’utilisation appartient bel et bien à l’utilisateur et donc au conducteur. Malgré ce garde-fou, les assureurs estiment que la donnée devient trop facilement la propriété du constructeur. « La mine n’est pas exploitée à ciel ouvert, a développé Yann Arnaud. Comme le constructeur obtient un consentement sur des finalités générales et extrait les données, comme il crée la base, corrige les aberrations et a une action intellectuelle sur les informations, il considère qu’elles lui appartiennent. » Les assureurs comme les autres prestataires et l’ensemble de l’écosystème automobile s’opposent à cette logique.
D’autres canaux pour les données
Autre sujet pour conclure, la donnée est disponible d’une manière tout aussi fiable via le gyroscope du smartphone et pas seulement via le navigateur du véhicule. De plus, cette donnée peut être exploitée par des algorithmes et restituée aux conducteurs ou aux gestionnaires de flotte. « Nous ne sommes donc pas dans le cadre d’une solution détenue exclusivement par les constructeurs, a affirmé Gaël Bouquet, directeur juridique et des affaires publiques du Comité des constructeurs français d’automobile (CCFA). De fait, il existe déjà de la concurrence. » Quant au véhicule étendu, Gaël Bouquet a tenu à rappeler qu’il est neutre technologiquement. Dans ces conditions, il est possible de changer de boîtier de télématique et de prestataire tout au long de la vie du véhicule. Le débat est loin d’être clos.
Dossier - Données : la bataille est engagée
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