VE : le réseau de recharge ne se développe pas assez vite

Le déploiement du réseau public de bornes de recharge pour les VE a pris du retard, en raison des délais d’installation et d’un modèle économique encore trop peu rentable.
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Bornes de recharge VE

Mercredi 8 février s’est tenue à l’Assemblée Nationale une table ronde sur le réseau d’infrastructures de recharge électrique. L’objectif : faire le point sur le déploiement du réseau et son impact sur la distribution électrique, en présence des opérateurs sur les réseaux de transport et de distribution. Bilan : les opérateurs ont pris du retard.

Selon Jean-Luc Moullet, directeur du programme compétitivité, filières industrielles et transports au Commissariat général à l’investissement (CGI), sur les 77 projets déposés par des collectivités depuis 2013, seuls trois ont été portés à leur terme. Sur les 20 533 points de charge prévus, 3 000 ont été installés, soit environ 15 %. Ce retard s’explique par une succession de délais : études d’implantation, délibération des collectivités locales, contractualisation, suivi de commande, installation… Si bien que certaines collectivités demandent un allongement du temps imparti pour la réalisation des projets.

L’opérateur BlueSolution, filiale de Bolloré, n’a quant à lui pas tenu ses engagements auprès des collectivités, malgré 7 500 bornes installées en France dont la plupart à Paris via Autolib’. Le vice-président du groupe, Didier Marginèdes, a justifié le retard pris par la difficulté à financer les investissements nécessaires et à trouver une rentabilité, surtout avec deux ans de gratuité imposés. Pascal Houssard, qui représentait la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), a notamment reproché au groupe Bolloré de ne pas s’être intégré aux réseaux en cours de déploiement des syndicats de collectivités.

Au final, seul Sodetrel et la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) ont rempli leurs objectifs. 87 bornes de charge rapide sur 200 ont été installées par Sodetrel tous les 80 km sur le réseau autoroutier dans le cadre du projet Corri-Door, grâce à un financement de la Commission européenne. L’implantation sera terminée en 2017. La CNR a déployé avec succès un corridor de 27 stations de recharge le long du Rhône.

L’absence de modèle économique

Pour les acteurs impliqués, le frein principal reste la difficulté à dégager un modèle économique rentable, alors que les coûts d’exploitation (raccordement, maintenance, service client…) sont peu pris en compte dans les aides publiques. Les intervenants se sont interrogés à plusieurs reprises sur la pertinence de continuer à investir dans un réseau public. Selon Jean-Luc Moullet, le contexte a changé depuis 2012 : « Le réseau de recharge public était au départ une réassurance face à la faible autonomie des véhicules électriques. Ce n’est plus le cas aujourd’hui si l’autonomie atteint les 300 km. » Marie Castelli, secrétaire générale de l’AVERE, a pointé que « sans les aides publiques, le VE ne sera pas compétitif ».

Une importante fracture territoriale

Ces premiers retours révèlent une importante fracture territoriale. Les projets financés par l’Ademe devraient à terme couvrir seulement trois quarts du territoire français. Deux zones blanches ne sont pas couvertes : les Vosges et le Massif Central, et le maillage reste insuffisant dans les territoires ruraux, en particulier dans l’Est de la France. Un nouvel appel à projet sera ouvert en septembre 2016 par le CGI pour orienter le déploiement vers ces zones.

Les opérateurs ont également fait état de complexités juridiques, notamment liées au déploiement en centre-ville et dans les habitats collectifs. En effet, le droit à la prise est souvent bloqué par les syndicats, en dépit des aides existantes (programme Advenir, solution Bienvenue d’Enedis).

Éviter la saturation du réseau

Du côté des distributeurs, le coût d’adaptation du réseau est actuellement estimé à 1 000 euros par voiture en 2030. Des chiffres plus précis seront communiqués dans les semaines à venir. Le problème de la gestion des pics de consommation en heure de pointe ou en période de vacances a été évoqué à plusieurs reprises. Thomas Veyrenc, directeur délégué de l’économie du système électrique de Réseau de transport d’électricité (RTE), estime que « la contribution à la pointe du soir sera de l’ordre 5 GW, soit l’équivalent du système d’éclairage public et résidentiel. Mais si on se place au niveau national, il n’y a aucune raison que les actions de recharge soient toutes synchrones. »

D’autant plus qu’il existe déjà des leviers pour diminuer la contribution de la recharge des VE à la pointe. La recharge pilotée avec asservissement à un signal tarifaire est une première solution qui a fait ses preuves. Elle peut aller encore plus loin avec des batteries et des compteurs intelligents, permettant un pilotage dynamique. Le vehicule-to-grid et l’agrégation de batteries constituent d’autres pistes. Selon les scénarios testés par RTE, la contribution du VE pourrait ainsi être diminuée de 5 à 3 GW. Il manque cependant des fournisseurs de niveau industriel pour le pilotage de la recharge.


Le point sur la législation

Depuis la loi n° 2014-877 du 4 août 2014 facilitant le déploiement d’un réseau d’infrastructures de recharge de véhicules électriques dans l’espace public, l’État ou tout opérateur est exonéré de redevance pour le déploiement d’un réseau de bornes de recharge sur le domaine public, lorsque cette opération s’inscrit dans un projet de dimension nationale. Un an après, avec la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, le gouvernement s’est fixé comme objectif l’installation d’au moins 7 millions de points de charge d’ici à 2030.