
La voiture autonome arrive à grands pas, plus vite que prévu, avec l’accélération du progrès en matière de systèmes automatisés et d’intelligence artificielle. On ne compte plus les concept-cars mettant en avant les ruptures technologiques ou les expérimentations en cours avec des démonstrateurs roulants, parfois accessibles au public. Pour les acteurs d’une filière en pleine mutation, l’enjeu est immense. Il s’agit de repenser totalement l’automobile, non plus seulement comme un véhicule mais comme un objet connecté à l’ère de la mobilité électrique et digitale.
Selon une étude du cabinet de conseil A.T. Kearney « Roadmap towards Autonomous...
La voiture autonome arrive à grands pas, plus vite que prévu, avec l’accélération du progrès en matière de systèmes automatisés et d’intelligence artificielle. On ne compte plus les concept-cars mettant en avant les ruptures technologiques ou les expérimentations en cours avec des démonstrateurs roulants, parfois accessibles au public. Pour les acteurs d’une filière en pleine mutation, l’enjeu est immense. Il s’agit de repenser totalement l’automobile, non plus seulement comme un véhicule mais comme un objet connecté à l’ère de la mobilité électrique et digitale.
Selon une étude du cabinet de conseil A.T. Kearney « Roadmap towards Autonomous Driving », le marché de la voiture autonome pourrait représenter 515 milliards d’euros à l’horizon 2035, soit 17 % du marché automobile mondial. Avec à la clé une nouvelle répartition de la valeur dont une moitié irait à l’achat de véhicules totalement autonomes, et l’autre aux applications et services associés (voir notre article sur le marché des véhicules autonomes).
Dans ce contexte, des acteurs ont émergé, des start-up aux géants de l’internet (GAFA), en passant par les laboratoires de recherche. Ainsi Alphabet (Google) expérimente la conduite autonome avec ses Google Cars depuis près de dix ans sur les routes des États-Unis, accumulant des millions de kilomètres. Si le groupe américain, via sa filiale Waymo, a abandonné l’idée de produire sa propre voiture autonome, comme le suggérait le prototype Firefly en 2013, il ne renonce pas à ses ambitions. Les tests se poursuivent avec des grands monospaces Chrysler Pacifica dans le cadre d’un partenariat avec le groupe FCA.

L’émergence de nouveaux acteurs
Google a décidé de se recentrer sur le cœur de la voiture autonome, soit l’informatique et les capteurs (scanner, caméra et radar). Son objectif : fournir une technologie « clé en mains » aux constructeurs automobiles.
Une stratégie suivie par Apple : la firme à la pomme ne prévoit plus de construire de véhicules 100 % maison, comme nombre d’études l’ont laissé penser, notamment avec projet Titan lancé en 2014. L’activité porte désormais sur une plate-forme logicielle, tandis qu’une flotte de cinq Lexus RX 450 continue de circuler pour valider les technologies en conditions réelles. Avec le projet PAIL (Palo Alto to Infinite Loop) mené en partenariat avec le fabricant français Induct, Apple travaille également à une navette autonome de type Navya pour desservir ses sites de la Silicon Valley.
L’engouement pour la conduite autonome s’étend par ailleurs aux acteurs du VTC. Pour des raisons évidentes : en remplaçant le chauffeur par un robot, ces derniers baissent leurs coûts d’exploitation de 30 %. Uber a donc commencé à transporter des clients à bord de véhicules sans conducteur aux États-Unis dans les rues de Pittsburgh et va poursuivre son programme dans l’Arizona.
Les VTC s’y mettent aussi
La plate-forme de VTC a aussi investi dans les poids lourds autonomes en rachetant l’entreprise Otto (ex Google) qui fournit des kits de conduite autonome pour camions. Objectif d’Uber : servir de plate-forme de mobilité à tous les usagers : particuliers, flottes, transporteurs, etc.
Toujours dans cette logique, Lyft, le principal concurrent d’Uber outre-Atlantique, s’est rapproché de Waymo (Google) pour coopérer sur la voiture autonome, tout en ouvrant son capital à Ford et GM. L’entreprise compte proposer à terme un service de transport autonome à la demande pour ses clients.
Face l’offensive des VTC et de l’industrie numérique, les groupes automobiles se mobilisent et tous accélèrent leur programme de R&D autour de la voiture autonome, de peur de devenir des sous-traitants de l’ombre. Les alliances se multiplient avec à la clé de lourds investissements. General Motors a déboursé 1 milliard de dollars pour acquérir Cruise Automation, une start-up spécialiste des logiciels de conduite automatique. Et le constructeur mène des expérimentations à Détroit avec des Chevrolet Bolt électriques et prévoit de faire tester ces véhicules au grand public.
Le jeu des alliances
Ford a aussi investi près de 1 milliard de dollars dans la société Argo AI, spécialisée dans l’intelligence artificielle et la robotique. La marque teste plusieurs modèles de Fusion autonomes sur les routes américaines. Elle a récemment fait parler d’elle en s’associant avec Domino’s Pizza pour expérimenter la livraison avec des véhicules sans conducteur à Ann Arbor dans le Michigan (voir aussi notre article).
En Europe, BMW a créé une alliance stratégique avec Intel et Mobileye pour développer un concept de voiture autonome. D’autres partenaires ont rejoint ce « club » comme les équipementiers Continental et Delphi, mais aussi le constructeur Fiat-Chrysler (FCA). De son côté, Daimler a formé un axe concurrent avec l’équipementier Bosch.
L’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi collabore pour sa part avec Microsoft autour de la voiture connectée et autonome. Les trois marques prévoient de mettre sur le marché, d’ici 2020, une quarantaine de véhicules avec différents degrés d’autonomie jusqu’au niveau 4 (voir l’encadré ci-dessous). Un démonstrateur sera disponible pour des essais publics en fin d’année. Il reprendra les technologies de conduite autonome « Easy Drive » du concept Symbioz.

En parallèle, Renault va tester une flotte de quatre Zoé autonomes dans la région de Rouen. Baptisé « Rouen Normandy Autonomous Lab », ce programme à 11 millions d’euros est mené avec la région Normandie et les groupes Transdev, Caisse des Dépôts et Matmut. Ce service de mobilité à la demande sera accessible aux usagers dès le printemps 2018 pour une durée de deux ans.
Des millions de kilomètres parcourus
Pour les constructeurs, les tests de véhicules autonomes permettent d’accumuler de l’expérience sur des millions de kilomètres parcourus. Ils offrent aussi l’occasion de valider les technologies en conditions réelles et d’améliorer leur efficacité en apprenant des erreurs et des situations rencontrées. L’objectif est de traiter le plus grand nombre de situations, y compris les plus critiques sur le réseau secondaire, de nuit ou dans des conditions météorologiques dégradées (pluie, neige, verglas). Et c’est aussi un moyen de convaincre le public avec des exemples concrets.
Le Groupe PSA a ainsi mené en juin dernier une opération de communication en offrant à des conducteurs lambda d’essayer des C4 Picasso autonomes sur des routes ouvertes. Avec le projet AVA (Autonomous Vehicle for All), les trois marques Peugeot, Citroën et DS devraient lancer leurs premiers modèles autonomes de niveau 4 à partir de 2021. Tous seront basés sur une plate-forme électronique inédite baptisée NEA.
« Grâce aux tests réalisés depuis deux ans, nous avons réalisé de gros progrès sur les algorithmes, explique Vincent Abadie, maître expert sur le véhicule autonome au sein du Groupe PSA. Au départ, avec la simulation, notre système traitait 75 % des situations, il en gère maintenant plus de 90 %. Reste à couvrir les 10 % restants, soit les cas de figure les plus rares et complexes, impliquant souvent une combinaison de facteurs (pluie/nuit/travaux). L’objectif est de rendre notre solution totalement sûre. »
De l’automatisation à l’autonomie complète
Si le Groupe PSA développe ses propres algorithmes, il teste aussi ceux de ses partenaires sur certains prototypes. « Nous évoluons dans un écosystème, il faut donc rester ouverts à tout, reprend Vincent Abadie. Nous collaborons avec des start-up, des fournisseurs et des laboratoires de recherche afin d’améliorer et de comparer nos résultats. Mais il est primordial de garder la maîtrise des technologies car, in fine, c’est nous constructeurs qui vendrons les voitures et seront responsables devant nos clients. »
Mais le chemin reste encore long avant l’autonomie complète. Les technologies vont se déployer peu à peu et par étapes jusqu’à l’horizon 2035. En Europe, l’Organisation internationale des constructeurs automobiles (OICA) a conçu un barème avec cinq niveaux allant de l’automatisation partielle à l’autonomie complète (voir l’encadré ci-dessous).
Les trois premiers niveaux ont déjà été atteints car ils ne comprennent que les aides à la conduite (ADAS) telles que le régulateur de vitesse adaptatif (niveau 1), l’assistance au parking (niveau 2) et l’assistant à la conduite dans les embouteillages (niveau 3) qui autorise une délégation partielle de la conduite. Jusque-là, le conducteur reste responsable de sa voiture, comme l’exige la réglementation en vigueur.
Selon Guillaume Crunelle, associé responsable industrie automobile pour le cabinet de conseil Deloitte, ce niveau 3 constitue déjà une performance technologique importante à mettre au crédit des constructeurs : « À ce stade, le véhicule est capable de brasser un grand nombre de données. Mais cette étape est compliquée à gérer : elle demande une éducation du conducteur pour bien comprendre les limites des fonctionnalités de conduite automatisée existantes. Des constructeurs ont d’ailleurs décidé de passer directement au niveau 4 prévu pour la prochaine décennie. »
À partir de ce niveau 4, une véritable rupture s’annonce puisque le véhicule pourra se passer totalement du conducteur dans la plupart des situations routières. La conduite autonome de niveau 4 fonctionnera sur la quasi-intégralité du réseau routier mais imposera encore des commandes manuelles pour le conducteur.
« Ce niveau peut s’appliquer aujourd’hui mais sa généralisation à grande échelle va prendre du temps. Il y a encore un pas énorme à franchir entre les démonstrateurs actuels et les futurs véhicules autonomes de série : le temps de sécuriser totalement les technologies et d’atteindre le risque zéro », précise Guillaume Crunelle.
Vers les niveaux 4 et 5
Enfin, avec le niveau 5 d’ici 2035, les véhicules n’auront plus ni volant ni pédale, et les occupants n’interviendront plus sur la conduite. Il s’agira de navettes, taxis, VTC ou autres véhicules en libre service de type Autolib’ – à l’image de la Smart Fortwo Vision EQ Concept récemment présentée à Francfort. « On assistera alors à une révolution totale, technologique mais aussi culturelle. D’ici là, il faut se préparer à une longue période de transition avec la cohabitation des différents modes d’autonomie, sachant que le cycle de renouvellement des véhicules est de près de dix ans. La mobilité sera complexe à gérer entre les “early adopters“ de la voiture autonome et les résistants de la conduite manuelle », conclut Guillaume Crunelle.
De son côté, Guillaume Devauchelle, directeur de l’innovation chez Valeo, détaille les prochaines étapes d’ici 2020. « À cette date, nous pensons que trois fonctionnalités ou manœuvres de conduite autonome seront largement commercialisées sur les véhicules de série. Avec pour chacune la triple redondance, soit la fusion des données entre radar, caméra et scanner pour assurer une sécurité optimale. La première sera la conduite autonome sur les voies rapides, telles les autoroutes françaises qui sont bien balisées. Le conducteur pourra déléguer entièrement la conduite sauf situations particulières : travaux, péages, conditions climatiques difficiles. »
La question de la triple redondance
Deuxième fonctionnalité mise en avant par Valeo : avec l’assistance dans les embouteillages, la voiture accélérera, freinera, tournera seule dans le trafic et quittera un axe quand on met le clignotant. « Ce sera déjà un plus pour le confort au quotidien. Troisième fonctionnalité : les systèmes de parking autonome vont se généraliser. La voiture pourra se garer toute seule dans un endroit qu’elle connaît, au domicile de l’utilisateur ou sur le lieu de travail », complète Guillaume Devauchelle (voir aussi son témoignage).
Après le défi technologique et sécuritaire de la voiture autonome viendra le temps du législateur, avec à la clé l’épineuse question de la responsabilité en cas d’accident entre conducteur, constructeur, assureur, etc. Un vaste chantier juridique et administratif en perspective, qui pourrait ralentir le processus.
Pour l’instant, la réglementation bute sur le niveau 3. Conformément à l’article 8 de la Convention de Vienne (1968), le véhicule ne peut se substituer à la prise de décision humaine dans le cadre de la conduite. L’automobiliste doit rester maître et responsable de son véhicule en toute circonstance.
Encore quelques ajustements…
Mais ces dispositions pourraient évoluer rapidement compte tenu des progrès réalisés et de l’intérêt des pouvoirs publics pour les bénéfices sécuritaires, environnementaux et sociétaux de la conduite autonome. En France, la ministre chargée des Transports, Élisabeth Borne, souhaite ainsi mettre en place d’ici la fin de l’année « une stratégie nationale » pour le véhicule autonome afin que tous les acteurs soient alignés. La loi sur la mobilité prévue en 2018 pourrait donc en tenir compte et favoriser des évolutions réglementaires.
Ce que confirme Guillaume Devauchelle pour Valeo : « Malgré les contraintes réglementaires, le contexte est globalement favorable pour les expérimentations : il y a partout une volonté publique de faire avancer les choses. Pour les États, l’enjeu sécuritaire est énorme : grâce à la conduite autonome, on pourrait réduire de 90 % le nombre d’accidents liés à une erreur humaine. Nous visons chez Valeo moins d’un accident grave pour 1 milliard de kilomètres parcourus. »
Des gains en perspective
Partant de ce constat, les professionnels pourraient être les premiers bénéficiaires de la conduite autonome. « Nous avons des retours très positifs de nos partenaires grands comptes et loueurs, déclare Vincent Abadie pour le Groupe PSA. Pour les collaborateurs, la voiture sans conducteur est une opportunité de gagner du temps, ou plutôt de ne plus en perdre. Nous réfléchissons déjà à l’aménagement des véhicules comme extension du bureau, entre autres pour les artisans qui emploient beaucoup leur véhicule pour travailler. »
Selon une étude du spécialiste de l’information trafic V-Traffic, un automobiliste francilien perdrait en moyenne 90 heures dans les bouchons par an, soit plus de deux semaines de travail. Un temps précieux que la voiture autonome pourrait restituer à l’usager pour se reposer, se divertir ou… travailler. Mais cette perspective reste éloignée : il faut attendre le niveau 5 pour que la voiture ne requière plus aucune intervention du conducteur et se transforme réellement en cocon roulant.
Des flottes d’entreprise gagnantes ?
L’autre argument fort de la voiture autonome, qui concerne directement les entreprises et les gestionnaires de flotte, reste la sécurité : une mobilité plus sûre avec moins d’accidents pour les collaborateurs, et des véhicules moins souvent endommagés.
« La sinistralité et les primes d’assurance pourraient commencer à baisser dès le niveau 3 avec la multiplication des aides à la conduite (ADAS), et ce avant l’arrivée des modes 100 % autonomes, estime Guillaume Crunelle pour Deloitte. Avec la conduite automatisée, les coûts d’usage et d’entretien vont aussi diminuer : avec les robots, la conduite sera optimisée et les véhicules consommeront moins de carburant et s’useront moins vite qu’avec des humains. »
Pour Valeo, Guillaume Devauchelle, ne dit pas autre chose : « Les fonctionnalités de la voiture autonome ouvrent des perspectives intéressantes pour les entreprises et notamment pour les gestionnaires de parc. Imaginez une voiture qui peut se garer toute seule, entrer dans un parking ou en sortir, se rendre à une station de recharge ou de lavage, etc. Ces automatismes vont optimiser les processus de la gestion de parc et donc faciliter certaines tâches. Le métier va évoluer. »
En partenariat avec Cisco et Indigo, Valeo expérimente le stationnement intelligent avec la technologie Valeo Park4U® Auto : les véhicules équipés peuvent se garer automatiquement sans conducteur dans des parkings connectés. « Ce type de technologie présente aussi un fort potentiel pour le secteur du transport de marchandises, avec à la clé des camions autonomes capables de manœuvrer dans les entrepôts et les parkings sans conducteur. La révolution de l’autonomie ne vient pas que du véhicule mais de tout l’environnement autour », argumente Guillaume Devauchelle.
Reste à convaincre les usagers. Le fait de déléguer la conduite à une intelligence artificielle constitue une étape psychologique cruciale, qui nécessite un accompagnement et de la pédagogie. Les constructeurs vont devoir expliquer à leurs clients les bénéfices de la voiture autonome, mais aussi les rassurer sur la sécurité et la protection des données.
Convaincre les conducteurs
Selon une étude réalisée en mai dernier par OpinionWay, les Français ont encore des avis mitigés : 56 % ne sont pas prêts à faire confiance à une voiture autonome, 45 % ont la crainte d’avoir un accident et 41 % redoutent l’absence de plaisir de conduire. En revanche, les 43 % favorables à la voiture autonome y voient des trajets moins fatigants et une sécurité renforcée. Une grande minorité qui pourrait vite prendre le dessus.