Le véhicule autonome peut-il être écologique ?

Selon un rapport du think tank La fabrique écologique, le développement de la mobilité autonome pour le transport de personnes ne contribuerait pas à la transition écologique et entraînerait plutôt une hausse de l’impact environnemental des véhicules.
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Véhicule autonome

Le think tank La fabrique écologique vient de publier un rapport évaluant la contribution du véhicule autonome sur route à la transition écologique à l’horizon 2050, hors transport de marchandises. Cette étude, présentée en visioconférence le 11 mars 2021, a été commandée par le Forum Vies Mobiles, un institut de recherche sur les mobilités créé en 2011 par la SNCF.

« Nous sommes dans un moment où des solutions techniques parfois mal définies – telles que l’hydrogène, les biocarburants ou l’avion vert – envahissent le débat public. Or, ce flou laisse parfois à distance les questions qu’il faudrait se poser pour être en mesure de juger leur rôle dans la transition écologique », a expliqué Jill Madelenat, chargée d’étude à La Fabrique écologique et co-autrice du rapport. Avec sa collègue Anahita Grisoni, elles ont ainsi analysé une quarantaine d’études techniques et théoriques consacrées au véhicule autonome et mené une dizaine d’entretiens avec des acteurs engagés dans sa mise en place.

Le véhicule autonome : un engin polymorphe

Résultat, « le véhicule autonome est un engin polymorphe », avertit Jill Madelenat. Le concept existe depuis les années 20. Aujourd’hui, du point de vue technique, ce concept « recouvre en réalité cinq niveaux d’autonomie, les premiers (niveau 1 et 2) étant déjà largement diffusés dans le parc automobile et ne représentant qu’un prolongement de la voiture traditionnelle (assistance au freinage, au parking, etc.), les niveaux 4 et 5 (conduite autonome en toute condition, sur tout type d’espace) étant a contrario encore très immatures et loin de la mise en vente », rappelle le rapport. De plus, sa définition juridique est encore en cours d’élaboration, avec une réglementation qui contraint pour l’instant les usages des véhicules autonomes de niveau 3.

En pratique, le rapport estime que trois scénarios de développement du véhicule autonome sont probables : des voitures autonomes individuelles sous le régime de la propriété privée, une offre privée de mobilité autonome à l’aide de flottes de robots-taxis et des navettes autonomes pour le transport collectif de passagers.

Une technologie trop peu mature pour contribuer à la transition écologique

Mais quelle que soit sa forme, les autrices du rapport estiment que la mobilité autonome ne pourra pas contribuer à la transition écologique. D’une part, elle arriverait trop tard par rapport à l’objectif européen d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. « Pour le secteur des transports, cela se traduit par une décarbonation complète des déplacements. Cela signifie pour la période 2015-2030 une réduction de 28 % des émissions de GES », précise le rapport. Or, « le véhicule autonome ne deviendra pas un mode de transport significatif avant 2030 ou 2040, voire même 2050 selon le CNRS et le rapport Idrac (2018) remis aux pouvoirs publics. »

D’autre part, le développement de la mobilité autonome pourrait entraîner une hausse de la consommation énergétique des véhicules, voire d’autres externalités négatives pour l’environnement. « Les bénéfices supposés du développement du véhicule autonome sont souvent liés à l’amélioration potentielle des performances énergétiques des véhicules. La conduite autonome serait plus économe que la conduite humaine, car plus fluide, mais également parce que le véhicule pourrait être plus léger car les équipements nécessaires à la sécurité pourraient être allégés », indique le rapport.

Mais d’autres facteurs pourraient à l’inverse influencer à la hausse la consommation d’énergie des véhicules, en raison de multiples effets rebonds. Par exemple, l’installation d’équipements de confort, de travail ou de loisirs augmenterait le poids des véhicules. La conduite déléguée pourrait aussi entraîner une hausse des kilométrages parcourus, les véhicules devenant des « salons roulants », et concurrencer les transports en commun. Certaines études estiment même que la congestion pourrait augmenter au lieu de diminuer.

Une hausse probable de la consommation énergétique des véhicules

Bilan : « l’augmentation de la consommation énergétique est plus probable et plus forte en valeur absolue que la réduction de cette consommation, estime le rapport. La quasi-totalité des études obtiennent des résultats ambigus, négatifs voire très négatifs, la consommation d’énergie du parc automobile pouvant augmenter jusqu’à 200 % selon certaines études. »

Et les études recensées ne prennent généralement pas en compte que la consommation de carburant, laissant de côté la fabrication, l’installation, la maintenance, la consommation énergétique, le renouvellement et le recyclage des équipements et des infrastructures nécessaires au fonctionnement des véhicules autonomes. Sans oublier la production, l’échange et le stockage d’une masse très importante de données, ce qui représente par ailleurs un enjeu de protection de la vie privée. Enfin, les investissements nécessaires se chiffrent en dizaines ou centaines de milliers d’euros et se feraient au détriment du développement de mobilités « plus douces et plus inclusives », mais aussi de la création d’emploi dans le secteur des transports.

La mobilité collective autonome comme piste de travail

Au final, « le seul scénario qui présente des réductions de consommation d’énergie probable est celui de la mobilité collective autonome, si l’on suppose qu’il permettra d’offrir des alternatives à la voiture individuelle », a conclu Jill Madelenat.

Or, le modèle économique des constructeurs automobile repose sur la production de masse de véhicules. « La course au véhicule autonome est avant tout une compétition entre nations, rappelle le rapport. Il s’agit avant tout de devenir leader d’une technologie qui apparaît comme un moyen de donner un second souffle aux industries automobiles nationales et de renforcer leur hégémonie sur de nombreux marchés. »

Ainsi, les expérimentations de véhicules autonome délaissent les territoires ruraux au profit des villes : sur les 16 expérimentations du programme gouvernemental EVRA, lancé en 2019, « seules deux sur 16 concernent un territoire rural et une un territoire rural enclavé », a pointé Jill Madelenat.