
C’est un constat que chaque métropole doit faire : leurs principales artères sont toujours plus engorgées. Et toutes veulent résoudre ce problème qui pollue, retarde, dégrade. Si l’on prend Rennes, mais la situation bretonne n’est pas différente de celle des autres grandes villes françaises, la communauté de communes a souhaité quantifier par voiture le nombre de passagers partant le matin au travail. Résultat : sur cent voitures entrant en ville par l’une des principales portes sud de la ville, 103 passagers étaient « transportés ». Soit en gros un voyageur par voiture.
Cet autosolisme est-il soutenable ? « Non, a répondu Élisabeth Borne,...
C’est un constat que chaque métropole doit faire : leurs principales artères sont toujours plus engorgées. Et toutes veulent résoudre ce problème qui pollue, retarde, dégrade. Si l’on prend Rennes, mais la situation bretonne n’est pas différente de celle des autres grandes villes françaises, la communauté de communes a souhaité quantifier par voiture le nombre de passagers partant le matin au travail. Résultat : sur cent voitures entrant en ville par l’une des principales portes sud de la ville, 103 passagers étaient « transportés ». Soit en gros un voyageur par voiture.
Cet autosolisme est-il soutenable ? « Non, a répondu Élisabeth Borne, ancienne ministre de la Transition écologique et solidaire et actuelle ministre du Travail. Aujourd’hui, la voiture reste le moyen de transport utilisé par la majorité des Français qui se rendent au travail, même pour les trajets de moins de 1 km. On ne peut pas continuer comme cela », a-t-elle souligné.
Voiture ou pas voiture ?
Pourtant, les faits sont têtus et, covid ou pas covid, les salariés ont du mal à envisager des solutions alternatives à la voiture et plus encore à la voiture de fonction. « Ce n’est pas d’actualité dans mon entreprise », commente un responsable de parc de la région Rhône-Alpes-Auvergne. À la tête de quelque 400 voitures, ce dernier souhaite rester anonyme. « À ce stade, notre entreprise n’a pas encore franchi le cap des alternatives au véhicule de fonction », ajoute un autre responsable, toujours sous anonymat, en charge de 200 voitures pour un spécialiste francilien du second-œuvre dans le bâtiment.
Pourtant, dans de nombreuses entreprises, certes loin d’être majoritaires, une autre petite musique se fait entendre, avec par exemple la mise en place de forfaits mobilités durables (voir l’encadré page 36). Et dans ce contexte, les gestionnaires de flotte peuvent aussi partir d’un constat plus prosaïque : en Île-de-France, 30 % des salariés souhaiteraient ne plus reprendre les transports en commun après la crise sanitaire. Les conducteurs veulent donc d’autres services et d’autres façons de voyager. Des changements qui se doivent aussi, pour les employeurs, d’être porteurs écologiquement, tout en restant peu onéreux.
Mais ce phénomène reste encore confidentiel. Selon les prestataires que nous avons interrogés, les employeurs qui offrent une alternative aux voitures de fonction ne représentent pas plus de 10 % de leurs clients. Car nombre d’entreprises veulent d’abord se mettre en conformité avec la LOM (loi d’orientation des mobilités) avant de réfléchir à remettre en cause les voitures de fonction.
Marque employeur et RSE
Mais si les entreprises restent rares à avoir sauté le pas des nouvelles mobilités, une majorité d’entre elles s’y intéressent, sachant que ces questions vont devenir centrales d’ici 2025-2030. Les responsables de parc sont donc bien conscients que s’ils ne se positionnent pas sur ces sujets de marque employeur, de RSE, d’intérêt fort pour la société et les jeunes collaborateurs, ils risquent de passer à côté d’un des changements majeurs à venir en matière de mobilité. Conséquence : ces pratiques ultra-minoritaires se développent rapidement en suivant trois axes principaux : le crédit mobilité, le vélo de fonction et la voiture libérée.
Le crédit mobilité
Le crédit mobilité permet avant tout de fournir aux salariés une somme d’argent pour se passer en tout ou partie d’un véhicule de fonction. C’est la solution commercialisée par Jan de Lobkowicz, directeur du développement de Skipr France, un prestataire traitant le déplacement du salarié de manière « holistique ». Cette société d’origine belge développe une carte mobilité dont le montant est défini par l’employeur, intégrable dans un smartphone à l’image des titres restaurant. Le salarié peut ainsi régler ses transports, taxis, trains, locations de voitures, etc. « Et l’employeur dispose de solutions informatiques pour intégrer toutes ces demandes dans sa comptabilité et autres reportings fiscaux ou fiches de paie. Le tarif va de 2 euros par mois et par salarié pour le service le plus simple, à 10 euros pour la solution optimale », expose Jan de Lobkowicz.
Carte et forfait mobilité
Ce prestataire n’est pas seul sur ce marché en pleine ébullition. « Nous réfléchissons à développer ce type de services car la non-possession des voitures constitue une tendance forte actuellement. Entre 35 et 45 % de nos clients gestionnaires de flotte nous interrogent sur ce sujet », précise Alexandre Fournier, directeur marketing et communication de Mobility Tech Green, un spécialiste de l’autopartage pour les entreprises et les collectivités. Ces gestionnaires veulent, avant tout, dans le contexte du covid puis du post-covid, optimiser le coût de leur flotte, souvent le deuxième poste de dépenses après les salaires dans l’entreprise. Une volonté confortée par la prise de conscience écologique des salariés.
« Le forfait mobilité plaît à nos salariés », confirme Alexis Sabin, gérant d’Alveus, une société de trente salariés, spécialiste du soutien scolaire. Ces derniers circulent tous les jours de site en site. Alveus les a équipés d’une carte mobilité avec 40 euros par mois pour régler tous les moyens possibles de transport : métro, bus, vélo, trottinette. « Pour l’administratif, c’est aussi plus simple car nous n’avons pas à demander et à récupérer les justificatifs de transport qui étaient parfois perdus. C’est enfin un complément de revenu pour les salariés. 90 % ont choisi ce mode de paiement des transports », reprend Alexis Sabin.
« Nos clients gestionnaires de flotte sont intéressés par ces “cartes de mobilité“ pour plusieurs raisons. Ils peuvent verdir et réduire leur parc, tout en passant à l’électrique », valide Olivier Emsalem, responsable des solutions de mobilité pour les entreprises de Free2Move, la captive du Groupe Stellantis (ex PSA et FCA), spécialiste de la mobilité implanté dans onze pays.
Le début de l’aventure
« Cette carte de mobilité est un moyen de contourner les véhicules statutaires et d’en limiter le nombre. Mais passer de la possession à l’usage ne concerne pour l’instant que 5 à 10 % des salariés. Nous sommes au tout début de cette aventure », pointe Olivier Emsalem, conscient que les changements d’usage prennent du temps. « Mais nous savons aussi que de nombreux jeunes n’ont plus le permis, que certains préfèrent un compte mobilité. Un de nos clients a interrogé ses collaborateurs pour savoir s’ils accepteraient de basculer sur des véhicules électriques avec un budget mobilité en sus. 64 % accepteraient cette solution », conclut-il.
Le vélo de fonction
Pour les entreprises, le vélo de fonction se veut aussi une des grandes alternatives au tout-voiture, une façon de faire et de penser qui s’est développée du fait du covid. « Début 2020, les employeurs montraient peu d’intérêt pour le vélo, rappelle Jérôme Blanc, co-fondateur de Tim Sports, une société créée en 2019 pour améliorer la mobilité des collaborateurs avec le vélo de fonction. Puis le covid est arrivé et les mêmes nous ont rappelés pour s’équiper en vélos dans le but de faire revenir leurs salariés au bureau », complète-t-il. Aujourd’hui, Tim Sports équipe en vélos de fonction 35 clients. Portrait-robot de ces employeurs : une grosse PME-PMI de 500 collaborateurs, avec un siège social dans une grande agglomération et des cadres nés dans les années 1990-2000.

Le vélo est tendance
« Nous travaillons avec de nombreuses compagnies d’assurance, des banques et des services financiers, des spécialistes du conseil. Dans ce monde-là, le vélo est “tendance“ et il contribue à limiter les coûts liés aux taxis. Et ce, avec un loyer mensuel de 35 euros pour un très beau vélo musculaire, ou de 50 euros pour un vélo à assistance électrique (VAE) de marque française, comme les lillois 02feel ou les savoyards Yubabikes, avec un casque, un cadenas, une assurance, un gilet de sécurité, de l’entretien, etc. », énumère Jérôme Blanc.
Autre prestataire présent dans toutes les grandes métropoles françaises, Tandem loue en longue durée des vélos de fonction aux entreprises. « Pour des VAE, les prix démarrent à 45 euros HT par mois. Pour le très haut de gamme, comme les vélos cargos, ils montent à 120 euros. Nous y associons un antivol, un casque, une assurance et des réparations sur site ou au domicile des salariés », décrit Arthur de Jerphanion, un des deux fondateurs de cette société créée en 2020.
Selon Arthur de Jerphanion, trois écoles cohabitent pour la répartition des coûts. « Des clients partagent les frais en deux avec 50 % à la charge du salarié et 50 % pour l’employeur. Le deuxième modèle, majoritaire, consiste, pour l’employeur, à payer 70 % des frais. Il reste 30 % à la charge de l’employé. Troisième option : l’entreprise paie l’ensemble du coût des vélos à ses salariés. Soit pour chaque dépense de 100 euros, une déduction de 25 % en impôt pour un coût réel de 75 euros », avance ce responsable.
La petite reine plutôt que les transports
Pour For Drug Consulting, spécialiste de la formation en recherche clinique et en vigilance, Amandine Picat, responsable opérationnelle en pharmaco-vigilance, se veut une digne représentante de cette nouvelle tendance à passer au vélo. Cette société de conseil, basée à Malakoff (94) au sud de Paris, réunit trente salariés pour quatre voitures de fonction. For Drug Consulting a opté pour la petite reine de fonction comme alternative aux transports en commun en 2020.
« 10 % de nos salariés ont été intéressés par ce système proposé à l’ensemble des équipes », relate Amandine Picat. Il s’agit d’employés vivant à moins de quarante minutes en transport en commun de nos bureaux. Ces salariés ont de 26 à 33 ans. Ils se montrent très contents d’un système où ils sont assistés par une société tiers, avec des vélos de qualité et une intendance gérée par le loueur, souligne la responsable.
Illustration par l’exemple
Qui en vient à son cas personnel : « Pour ma part, j’habite à 35 minutes en métro de nos locaux. Grâce à une piste cyclable passant en bas de chez moi, je fais le trajet en vélo en environ dix minutes. Cela me prenait trente minutes à pied et en métro. C’est plus rapide, plus écologique, sans les bouchons et les désagréments des transports en commun. Le métro est devenu insupportable avec le masque et la possibilité de canicule », déplore Amandine Picat.
Les partisans du vélo mettent en avant cet argument du bien-être. Selon eux, venir à vélo le matin donnerait le sourire aux salariés s’ils habitent à moins de 10-15 km de leur travail. Et faire un effort physique dès potron-minet augmenterait la productivité de 6 à 9 %, selon une étude du Medef… Tout en évitant les transports en commun dont l’usage favoriserait la transmission du covid (et d’autres virus comme celui de la grippe), et tout en supprimant les 158 heures de bouchons que subissent, en moyenne et par an, dans leur voiture, les salariés français.
Vélos publics ou vélos en propre
Orange, de son côté, a opté pour une autre solution. « Chez nous, la majorité des salariés ne voulaient pas rentrer chez eux le soir avec leur vélo. Trop de vols, de dégradations », souligne Patrick Martinoli. Ce dernier est directeur délégué des projets innovation pour la flotte et les mobilités de l’opérateur télécom, à la tête de 17 000 véhicules dont 1 000 de fonction. « Nous nous sommes alors rapprochés des municipalités de nos sites pour bénéficier de vélos publics au pied des bureaux plutôt que de recourir à une flotte en propre », poursuit ce responsable.
Quoi qu’il en soit, le vélo de fonction a de beaux jours devant lui. Au Danemark, près de 25 % des trajets quotidiens se font en vélo contre 3 % en France. Mais le gouvernement a pour ambition de faire passer ce chiffre à 9 % dans l’Hexagone.
Le véhicule libéré
Pour les entreprises, la troisième alternative est celle du « véhicule libéré » qui associe voiture de fonction et covoiturage. L’idée est de mettre son véhicule de fonction à disposition quand on ne s’en sert pas. On libère donc ce véhicule en le signalant comme utilisable par les autres employés, à condition que ces derniers le ramènent en fin de journée pour que le salarié puisse s’en servir pour rentrer chez lui.
De nombreux prestataires permettent d’équiper les véhicules de fonction – en y plaçant un boîtier et en reliant les automobiles électroniquement à un système informatique – pour les faire entrer dans des pools de véhicules en autopartage. Le salarié « libère » donc son véhicule quand il est en réunion et peut ensuite obtenir des compensations en argent sur un crédit mobilité valable pour les week-ends ou pour la location d’une voiture de grande dimension pendant les vacances.
Le cas Orange

Ce véhicule « libéré », une entreprise l’a testé. « Nous trouvions dommage de financer des places de parking et des véhicules pour que ces derniers ne bougent pas de la journée, explique Patrick Martinoli chez Orange. Nous avons donc opté pour un partage de véhicules attribués. Nous n’en sommes pas très contents car il n’y a pas eu adhésion à ce système. Finalement, nous allons prendre le problème à l’envers. C’est-à-dire offrir aux salariés la possibilité de remiser un véhicule à domicile pour rentrer chez eux, avec une solution d’autopartage de 9 h 00 à 18 h 00. »
Chez Orange, ce fonctionnement va contribuer à la politique de diminution du nombre de véhicules attribués et à la politique globale de réduction de la flotte tout court. « C’est en cela une alternative forte à la voiture de fonction. Et cette façon de faire est efficace : sur 17 000 véhicules en parc, nous n’avons plus que 1 000 voitures de fonction servant de compléments de salaires. Mais pour maintenir l’attractivité de certains postes, ces véhicules vont perdurer tout en devenant électriques », nuance Patrick Martinoli.
Et en 2030 ?
Les véhicules de fonction existeront-ils encore en 2030 ? Peu en disconviennent. Mais il y a fort à parier que leur environnement sera modifié. L’intelligence artificielle devrait ainsi rebattre les cartes. Selon le Robert, l’IA constitue « l’ensemble des théories et des techniques développant des programmes informatiques complexes capables de simuler certains traits de l’intelligence humaine (raisonnement, apprentissage…). »
En 2030, le salarié pourra alors se lever le matin – ce sera toujours d’actualité – et demander, via son smartphone et une application « mobilité », un véhicule (peut-être autonome) pour se rendre au bureau. Il aura aussi la possibilité de louer une voiture, sans doute électrique (voire peut-être hydrogène), et de régler ses transports en commun, d’enfourcher son vélo électrique ou pas, de repérer qui pourrait faire de l’autopartage dans son quartier, de prendre un taxi.
Peu de salariés conduiront alors un véhicule attitré. Les employés seront devenus des usagers de la mobilité et non plus des propriétaires des moyens de transport. Ce changement concernera-t-il tous les salariés ? Cela reste à déterminer. Mais l’entreprise qui offrira à tous ces salariés ce type de services sera en droit d’espérer les fidéliser au mieux, pour un coût peu élevé, tout en améliorant sa responsabilité sociétale.