
« Les entreprises doivent être plus sobres, plus écologiques, alors que le véhicule de fonction reste encore le premier élément d’attractivité pour les RH. C’est paradoxal. Il faut donc trouver une adéquation entre la nécessité de rester attractif pour les collaborateurs, tout en limitant l’empreinte environnementale. Et ce, alors que les solutions alternatives au véhicule de fonction n’existent pas toujours ou sont difficiles à mettre en place », résume très justement Christophe Baudet, responsable environnement de travail et référentiel d’entreprise de Dalkia Sud-Ouest, filiale des services énergétiques du groupe EDF. « En outre, ajoute-t-il,...
« Les entreprises doivent être plus sobres, plus écologiques, alors que le véhicule de fonction reste encore le premier élément d’attractivité pour les RH. C’est paradoxal. Il faut donc trouver une adéquation entre la nécessité de rester attractif pour les collaborateurs, tout en limitant l’empreinte environnementale. Et ce, alors que les solutions alternatives au véhicule de fonction n’existent pas toujours ou sont difficiles à mettre en place », résume très justement Christophe Baudet, responsable environnement de travail et référentiel d’entreprise de Dalkia Sud-Ouest, filiale des services énergétiques du groupe EDF. « En outre, ajoute-t-il, le véhicule de fonction est l’héritage d’un système qui le privilégie fiscalement car il revient moins cher qu’une compensation salariale. C’est dans ces conditions qu’il va falloir changer les mentalités », conclut ce responsable (voir le témoignage).
Quelle alternative au véhicule de fonction ?
« Les véhicules de fonction sont souvent mis en avant pour attirer et retenir les collaborateurs. Leur attribution constitue un élément du salaire. Il est donc difficile de les supprimer ou d’en diminuer le nombre », confirme Alexandra Melville, responsable achats mobilité pour Accenture. Ce cabinet de conseil préfère privilégier les trajets plus propres – l’ensemble des véhicules de fonction de sa flotte sont électriques ou hybrides – et des solutions complémentaires comme l’autopartage et le télétravail.
« Des clients commencent toutefois à se demander s’il n’existe pas d’autres solutions que la voiture de fonction pour une certaine typologie de salariés, note Matthieu Pettex, associé au sein de la société de conseil Ayming, spécialiste de la performance des entreprises. Mais il va falloir trouver des alternatives qui ne coûtent pas plus cher à l’entreprise et restent attractives pour le salarié. » Ainsi, selon le Baromètre flottes 2019 de l’Arval Mobility Observatory (AMO, ex-OVE, voir l’article), 19 % des entreprises sondées et 45 % des entreprises de plus de 1 000 salariés se disent « prêtes à abandonner tout ou partie de leur parc de véhicules de fonction pour des solutions alternatives », en faveur prioritairement du covoiturage (14 et 35 % pour les entreprises de plus de 1 000 salariés) et de l’autopartage (9 et 30 %).
« À l’avenir, il ne s’agira plus de proposer un véhicule de fonction mais d’accompagner les collaborateurs dans leur mobilité, y compris pour les trajets domicile-travail. Et les solutions retenues vont changer la manière dont on conçoit le véhicule de fonction, même si celui-ci demeure un élément intrinsèque de cette mobilité. Mais l’objectif restera l’efficacité pour que le collaborateur ne perde pas des heures dans les transports », estime Karen Brunot, directrice marketing et digital d’Arval France.
Répondre aux contraintes environnementales

Au-delà des considérations liées aux RH, les contraintes environnementales se font aussi toujours plus fortes et la prise de conscience s’accélère. « Des municipalités commencent à interdire les véhicules, surtout les diesel, en centre-ville, ce qui favorise les réflexions autour des solutions alternatives », remarque Matthieu Pettex. Sans oublier non plus la récente loi d’orientation des mobilités. « Le mouvement est lancé et l’objectif reste de trouver des moyens pour réduire l’empreinte carbone. Cette réflexion est globale et la diminution du nombre de véhicules, et donc des déplacements, en fait partie », affirme Alexandra Melville d’Accenture. Ce cabinet de conseil s’appuie sur un parc de 630 véhicules de fonction pour 4 000 salariés. « Nous ne supprimons pas ces véhicules mais nous ne les privilégions pas non plus », souligne-t-elle.
Autre paramètre qui fait bouger les lignes selon Matthieu Pettex : « Les entreprises manquent de visibilité et hésitent entre diesel et essence. Quand le véhicule n’est pas indispensable pour des raisons de service, offrir une compensation de type crédit mobilité peut leur éviter de faire de mauvais choix. Mais les alternatives au véhicule de fonction ne sont pas envisageables pour des commerciaux ou des techniciens qui roulent 30 000 km par an », poursuit le responsable d’Ayming. Le véhicule demeure alors un outil de travail indispensable.
« Si on analyse, les alternatives au véhicule de fonction ciblent surtout les collaborateurs parisiens et ceux des grandes villes. Leur nombre est donc restreint. Et encore, si le salarié habite dans la lointaine couronne, le vélo n’est pas une alternative crédible, complète Gérard de Chalonge, directeur commercial et marketing du loueur Athlon. Alors que les solutions du vélo ou de l’autopartage électrique peuvent être adaptées dans la journée aux rendez-vous de proximité en zone urbaine. D’autant que les zones urbaines se ferment aux véhicules polluants. »
Le véhicule de fonction, une question de génération ?
Ces nouvelles mobilités sont donc complémentaires mais ne se substituent pas au véhicule de fonction, à part pour une typologie de salariés très restreinte : un cadre urbain dont le domicile est proche du lieu de travail. « Nous nous orientons plus vers une mixité de solutions englobant l’autopartage, le vélo, le télétravail, etc. », indique Gérard de Chalonge. Ce dernier pointe plusieurs freins à une évolution des déplacements et à une baisse du nombre de véhicules de fonction : « Un premier frein est d’ordre culturel. Les conducteurs concernés sont à des postes élevés et appartiennent plutôt à une tranche d’âge entre 40 et 60 ans, ils sont donc peu enclins à changer leurs modes de déplacement. »
Mais avec la jeune génération, les mentalités pourraient changer. « L’attribution d’un véhicule de fonction, argument massue des RH, ne fait plus rêver tous les collaborateurs, notamment chez les jeunes urbains. Pour être attractifs et retenir les talents, il va falloir de plus en plus proposer des solutions polyvalentes de mobilité globale », prévient Anne Bertrand, directrice de la gestion des véhicules chez Orange (voir l’article).
« Les nouvelles générations sont friandes des Blablacar, des Uber, etc. Elles s’intéressent moins à l’aspect statutaire du véhicule et raisonnent plus en termes de mobilité au sens large », valide Philippe Minvielle, directeur logistique du groupe GCC, un spécialiste du génie civil et de la construction (voir aussi le témoignage). « Les jeunes diplômés trouvent beaucoup plus attractive une entreprise qui investit dans les nouvelles mobilités avec un mix de solutions innovantes », avance de son côté Karen Brunot pour Arval.
La voiture de fonction reste reine
Dans la pratique, quelques rares salariés refusent le véhicule de fonction. Leurs raisons sont multiples : « Le conjoint peut déjà bénéficier d’un véhicule, le collaborateur ne possède pas de parking en centre-ville, etc. », justifie Matthieu Pettex pour Ayming. « Et certains collaborateurs urbains, éligibles au véhicule de fonction, n’ont pas le permis », note Alexandra Melville pour Accenture qui laisse le choix aux collaborateurs entre le véhicule de fonction ou une contrepartie salariale. « D’autres roulent en scooter et cela leur fait gagner du temps », ajoute Anne Bertrand pour Orange. Orange chez qui, en revanche, le refus d’un véhicule de fonction ne donne pas lieu à une compensation, mais des réflexions sont largement entamées dans ce sens.
Autre point en faveur du véhicule de fonction : la fiscalité. L’avantage en nature se calcule de manière forfaitaire sur le coût du véhicule remisé. Le coût de ce véhicule reste donc faible pour le salarié et l’entreprise économise des charges sociales. Ne sont donc pas favorisées les solutions telles que le « car allowance », soit une compensation du véhicule de fonction par un complément de salaire, ou le crédit mobilité, avec une compensation sous la forme d’un budget mobilité pour les trajets privés : billets de train, d’avion, taxis, locations de courte durée, etc. Et pour ces solutions, la fiscalité reste à définir (voir l’article).
La solution du car allowance ou du crédit mobilité nécessite aussi de savants calculs : il est nécessaire de bien analyser le coût global du véhicule remplacé en intégrant toutes les dépenses, et surtout de faire la part des trajets personnels et professionnels, ces derniers restant à la charge de l’entreprise. Il faut donc estimer le coût des locations courte durée, des taxis, de tous les moyens de déplacement employés à titre professionnel – y compris l’autopartage dont le coût n’est pas simple à évaluer.
Car allowance ou crédit mobilité ?
Le calcul consiste à déduire le coût futur des déplacements professionnels du budget de l’ex-véhicule attribué ; le crédit mobilité ou le car allowance représentent alors le reliquat, après déduction des charges sociales. « Des entreprises ne reversent en outre pas la totalité de ce montant et conservent une partie de l’économie réalisée, précise Matthieu Pettex. Bilan : ce système n’est souvent pas assez incitatif. Il va falloir que la fiscalité évolue pour favoriser ces alternatives. »
Dernier frein mis en avant par Maxime Sartorius, directeur du fleeteur Direct Fleet : « Quand le crédit mobilité a été lancé, les lignes ont failli bouger car cette solution a commencé à intéresser de nombreux gestionnaires de flotte. Mais en pratique, la logistique ne suit pas. Ceux qui abandonnent le véhicule de fonction choisissent une petite voiture électrique moyennant une compensation en crédit mobilité. Mais ils veulent tous un grand 4×4 pour partir aux sports d’hiver et une grande familiale confortable pour les vacances d’été. Après avoir testé, ils ont été déçus car ces véhicules n’étaient pas disponibles au bon moment. On n’a toujours pas trouvé les bonnes solutions alternatives au véhicule de fonction, même si l’intérêt est là », conclut Maxime Sartorius.
L’autopartage : une solution idéale ?
Pour réduire le nombre de véhicules de fonction, Orange mise aussi sur l’autopartage. Et avec 4 000 véhicules au sein du groupe, cette solution est vue comme un atout. « L’accès à l’autopartage, également à titre privé le soir et le week-end, est une solution pour ceux qui préfèrent ne pas bénéficier d’un véhicule de fonction ou pour ceux qui n’y sont pas éligibles. Nous pouvons ainsi retirer plus facilement un véhicule de fonction à un collaborateur qui change de poste et n’en a plus besoin pour ses missions », souligne Patrick Martinoli, directeur délégué innovation projets et expertise automobile de l’opérateur public.
« Mettre en place de l’autopartage rationalise le nombre de véhicules dans l’entreprise et répond à de nombreux besoins de mobilité pour les collaborateurs qui n’ont pas de véhicule de fonction. Cela permet d’optimiser le TCM (Total Cost of Mobility) entre 20 et 30 %. En effet, bon nombre de véhicules de fonction restent sur les parkings de l’entreprise et roulent cinquante minutes par jour en moyenne pour les trajets domicile-travail », avance Karen Brunot pour Arval. « Mais des paramètres doivent être respectés pour que l’autopartage fonctionne. Il faut suffisamment de collaborateurs réunis sur un site et que les rendez-vous professionnels s’effectuent à partir de cet endroit », rappelle Matthieu Pettex.
Chez Accenture, l’autopartage existe depuis une dizaine d’année au siège du groupe dans le treizième arrondissement parisien, avec cinq véhicules électriques et hybrides. « L’autopartage accroît la mobilité des collaborateurs non éligibles au véhicule de fonction. Mais ces véhicules autopartagés ne se substituent pas à la voiture de fonction et servent surtout à ceux qui n’en ont pas », pointe Alexandra Melville qui compte agrandir prochainement ce parc autopartagé et étudie la possibilité d’installer des bornes pour des vélos à assistance électrique.
Favoriser le télétravail ?
Pour les trajets domicile-travail, le covoiturage pourrait être aussi une solution à développer. « Mais il ne fonctionne pas toujours facilement car les collaborateurs concernés sont souvent des cadres supérieurs avec des horaires flexibles », nuance Matthieu Pettex. Les solutions comme le télétravail ou les vidéoconférences font aussi bouger les lignes en limitant les déplacements. Et le télétravail a notamment le vent en poupe, d’autant que la dernière réforme du droit du travail le favorise.
« Avec les nouveaux moyens technologiques, c’est possible et les salariés sont souvent plus efficaces depuis leur domicile. Mais la présence au bureau reste indispensable pour travailler en équipe et pour les relations avec les autres collaborateurs », explique Gérard de Chalonge pour Athlon. « Le télétravail contribue à faire baisser les dépenses en carburant et les kilomètres parcourus, avec un impact positif sur la qualité de vie au travail. Mais le télétravail ne remplace le véhicule de fonction. Les deux ne sont pas antinomiques », complète Maxime Sartorius pour Direct Fleet.
Face à ces constats, certains gestionnaires de flotte choisissent la simplicité en en remplaçant le véhicule de fonction thermique fortement émetteur de CO2 et donc lourdement taxé, par un modèle « propre ». « Avec l’offre en électrique et en hybride rechargeable qui va s’étoffer, le véhicule de fonction a finalement encore de beaux jours devant lui », conclut Philippe Minvielle pour le groupe GCC. Un bon résumé de la situation.
Dossier - Véhicule de fonction : le début de la fin ?
- Véhicule de fonction : le début de la fin ?
- Quelle fiscalité pour le crédit mobilité ?
- Philippe Minvielle, GCC : « Parmi les testeurs du crédit mobilité, les deux tiers “accrochent“ »
- Mobilité : Orange en recherche d’une solution globale
- Christophe Baudet, Dalkia Sud-Ouest : « Il va falloir changer les mentalités »
- Les salariés d’Arval testent les solutions alternatives
- Covoiturage et autopartage plébiscités par les entreprises
- La voiture de fonction n’est pas morte