
L’électrification des flottes est en marche, poussée par plusieurs contraintes. Dont la loi d’orientation des mobilités (LOM) qui exige, lors des renouvellements annuels, un pourcentage de véhicules à faibles émissions (VFE, les émissions à l’échappement ne dépassent pas 50 g de CO2/km) : 10 % en 2022, 20 % en 2024, 40 % en 2027 et 70 % en 2030 pour les entreprises. À cela s’ajoutent des tarifs des carburants en hausse constante – il y a peu de chance qu’ils baissent à terme – et un réchauffement climatique qui, à chaque feu de forêt, rend la décarbonation des activités humaines de plus en plus vitale…
Face à ces « obligations », les...
L’électrification des flottes est en marche, poussée par plusieurs contraintes. Dont la loi d’orientation des mobilités (LOM) qui exige, lors des renouvellements annuels, un pourcentage de véhicules à faibles émissions (VFE, les émissions à l’échappement ne dépassent pas 50 g de CO2/km) : 10 % en 2022, 20 % en 2024, 40 % en 2027 et 70 % en 2030 pour les entreprises. À cela s’ajoutent des tarifs des carburants en hausse constante – il y a peu de chance qu’ils baissent à terme – et un réchauffement climatique qui, à chaque feu de forêt, rend la décarbonation des activités humaines de plus en plus vitale…
Face à ces « obligations », les entreprises s’adaptent. C’est le cas de la société d’ingénierie automobile Bertrandt (78), à la tête de 90 véhicules dont quatre électriques. « Notre bureau d’études verdit sa flotte. Nous avons déjà choisi de n’acquérir que des modèles à moins de 120 g. Nous optons donc pour des véhicules électriques, hybrides, éthanol ou GPL. Nous voulons associer respect de l’environnement et optimisation des coûts », commente Sylvie Metzinger, la responsable des services généraux en charge du parc automobile.
Des contraintes et des écueils
Mais cette politique se complique avec l’addition de paramètres qui freinent le passage à l’électrique. Le principal écueil reste souvent d’ordre financier, mais il est en passe d’être levé. En effet, le match des TCO comparés entre véhicules thermiques et électriques tournerait en faveur de l’électrique. Selon la société de conseil en gestion de flotte Mobileo Consulting, le TCO (bornes de recharge incluses) d’une voiture électrique comme le Peugeot e-2008 serait 12 % moins élevé que celui du 2008 essence pour 25 000 km par an (analyse réalisée en mars 2023). Idem pour le BMW iX1 électrique dont le TCO est 10 % moins élevé que celui du X1 thermique, ou pour la Renault Mégane électrique, 9 % moins coûteuse que son équivalent thermique. Un constat plus discutable avec les VU. La part de l’électrique progresse donc dans les flottes. L’évolution du parc géré par Fatec Group, soit 135 000 véhicules, est à cet égard édifiante. De 2019 à 2023, le nombre de véhicules électriques utilisés par ses clients a bondi de 1 000 à 12 000, « soit environ 10 % des flottes de mes clients, et soit, selon moi, le taux d’électrification de la flotte française », avance Théophane Courau, le président de ce fleeter. Un constat corroboré par l’Arval Mobility Observatory : « Nous assistons à une nouvelle poussée de l’électrification des flottes dans les entreprises. » La part de marché des modèles 100 % électriques dans les entreprises atteignait ainsi 11,45 % fin mai dernier : une véritable bascule.
Une bascule à accélérer
« En 2020, 70 % de nos clients s’équipaient en thermique, étaye Nicolas Fragne, dirigeant de Yooliz, un courtier en leasing automobile pour les entreprises, qui vient de publier une étude promouvant l’électrification des flottes. Aujourd’hui, en mai 2023, 70 % préfèrent l’électrique ou l’hybride. »
Mais les flottes peuvent-elles faire mieux ? Pour Maxime Grard, responsable achat de véhicules légers et mobilité pour Engie, le plus grand frein à l’électrique reste désormais managérial : « La conduite du changement est délicate car nous nous attaquons à l’outil de travail des collaborateurs. Cela veut dire changer leurs façons de se déplacer », expose ce responsable. Chez l’énergéticien, à la tête de 15 000 véhicules dont 600 électriques, l’électrification a débuté en 2015.
Dans cette bascule aux électrons, il s’agit donc de convaincre les salariés indécis. Pour cela, une stratégie en cinq points est à suivre. La voici.
1. Voir large
Pour convaincre, il faut voir large. C’est le conseil de Margy Demazy, la directrice commerciale d’Arval France. « Pour réussir l’électrification, le responsable de parc et son entreprise doivent définir leurs ambitions en termes de flotte et de mobilité. Il faut s’appuyer sur une vision de l’ensemble des enjeux de mobilité, plus large que celle du seul véhicule. Il faut se poser et réfléchir pour savoir ce que l’on veut faire des déplacements de l’ensemble des collaborateurs », conseille Margy Demazy. Il s’agit donc ici de déterminer sa politique RSE en matière de mobilité à l’horizon 2030, voire 2050. Ni plus, ni moins. Et de viser le zéro émission. Tout cela tient donc à une démarche de conduite du changement par définition complexe.
Annette Chazoule est justement responsable de la gamme Conduite du changement pour le formateur Cegos. Elle dispense à des salariés un cursus de deux jours, « Les 4 clefs de l’accompagnement du changement ». « Une telle politique passe, tout d’abord, par une analyse du contexte et des enjeux de la décarbonation, pose-t-elle. Ensuite, il faudra mesurer les impacts de cette électrification des flottes sur les équipes et construire la communication. Restera alors à impliquer les équipes pour qu’elles acceptent ce changement. Ce dernier doit être compris. Cela ne doit pas être considéré comme une punition. Le mieux est donc d’impliquer les collaborateurs le plus tôt possible, de les faire réfléchir aux intérêts de cette décarbonation des transports en mettant en avant les avantages d’une flotte électrique : des aides, des voitures neuves et modernes, une borne chez soi », conclut Annette Chazoule.

Lever les craintes
Car il existe de nombreuses craintes et elles sont légitimes. Pour les contourner, il ne faut rien imposer mais inciter. Cela se fera par le biais d’ambassadeurs convaincus du bien-fondé de la démarche, qui expliqueront et accompagneront les autres collaborateurs. Il faudra aussi se montrer exemplaire. Le gestionnaire de flotte doit donc rouler en électrique, comme toute la hiérarchie… « Mais attention aux messages et à la pensée unique. L’électrique est intéressant mais il faut analyser avant tout les usages. Il faut donc proposer et non pas imposer », confirme Maxime Sartorius, président de Direct Fleet, un fleeter qui gère 12 000 véhicules.
2. Impliquer les salariés
Le meilleur conseil reste donc d’impliquer les collaborateurs. « Avec l’électrification, les miens se montrent réticents, se plaint, anonyme, un responsable de parc du secteur tertiaire. Notre direction a une moyenne d’âge de cinquante ans et préfère les hybrides rechargeables. Cela passe mieux mais coûte très cher et ces PHEV ne sont pas adaptés à ces gros rouleurs. Avec l’électrique, ils ont peur que l’autonomie ne suffise pas, que les bornes tombent en panne, que la recharge prenne trop de temps. Bref, ils estiment urgent d’attendre. »
Un état des lieux
Face à ces récriminations, le gestionnaire de flotte qui réussit le passage à l’électrique débute par un état des lieux. « Nous avons mené une enquête sur la mobilité des salariés, illustre Stanislas Roucher, coordonnateur QSE de GSF Trévise, spécialiste du nettoyage industriel. Et nous avons constaté que nos collaborateurs avaient des souhaits multiples. Il n’y a pas que le véhicule électrique. Leurs besoins sont divers et les solutions que nous proposons aussi : vélo, transport en commun, véhicule électrique, thermique. Il faut panacher le plus possible. Car le tout-électrique peut aller à l’encontre de la décarbonation avec tellement de freins que les salariés vont bloquer », prévient Stanislas Roucher. Le parc de GSF Trévise comprend douze vélos et quarante voitures dont deux électriques.

C’est aussi la politique menée par CapInfo. Cet éditeur de progiciels de gestion destinés aux enseignes de la distribution s’appuie sur un parc de six Tesla électriques et quatre VU en migration vers l’électrique. Pendant le covid-19, cet éditeur a réfléchi à comment améliorer sa qualité de vie au travail. « Nous avons alors amélioré nos bâtiments, les temps de travail et la mobilité des salariés. Nous leur avons, sur ce dernier point, laissé l’initiative et le choix du modèle, pourvu que ce soit le même pour tout le monde. Nous étions persuadés qu’ils s’orienteraient vers un modèle thermique allemand. Ils nous ont demandé un smartphone sur quatre roues : la Tesla, technologique, branchée, connectée, RSE, etc. Dans la foulée, nos deux patrons, la cinquantaine, ont aussi basculé du thermique à l’électrique, et c’est génial : pas de bruit, une conduite apaisée, une image de marque et un capital sympathie augmentés », relate Alain Rivoire, directeur général associé de CapInfo.
Partager et discuter
Son conseil pour convaincre les collaborateurs ? « Partager, discuter pour faire passer un message RSE : l’idée d’améliorer l’image de marque de l’employeur et de l’entreprise. Et in fine, la leur aussi. Depuis que nous roulons en Tesla, des clients, des inconnus viennent nous voir pour nous poser des questions sur nos voitures. Ils lèvent leurs pouces en approuvant notre choix ou sont satisfaits, comme notre client Botanic, spécialiste de la jardinerie-animalerie. Cette entreprise à mission apprécie notre choix de mobilité écologique et responsable et nous l’a fait savoir », conclut Alain Rivoire.
3. Accompagner les salariés
Une fois l’électrification décidée, il faut accompagner les salariés. Une politique des petits pas que met en place un spécialiste du conseil qui ne souhaite pas être cité. « Nous avons comme politique de supprimer nos trajets en véhicules diesel, avance le responsable de la flotte de 45 véhicules dont dix électriques. Nous y allons progressivement mais notre but est d’inciter nos collaborateurs à passer au tout-électrique. Ceci précisé, nous rencontrons des problèmes techniques et sociaux. Techniques, car nos salariés n’ont pas, en général, de maisons individuelles pour installer des bornes. Sociaux, car nos salariés dotés de voitures de fonction veulent partir en vacances avec et l’électrique pose un problème d’autonomie. » Pour contourner ces écueils, ce responsable a décidé de s’appuyer sur des ambassadeurs qui promeuvent l’électrique, et d’offrir un mix mêlant diverses solutions : vélos, véhicules électriques et location de thermiques pour les longs trajets.
Des cursus sur l’électrique
Mais pour convaincre, la formation des salariés reste la clé. « Celle-ci passe par un cursus qui explique en quoi l’électrique représente un bienfait pour notre planète, illustre Sylvie Metzinger, responsable des services généraux en charge du parc automobile pour la société d’ingénierie automobile Bertrandt. On ne peut plus faire des choix de voiture sans penser à l’environnement et l’énergie fossile n’est pas une bonne chose. » Bertrandt compte 90 véhicules dont quatre électriques.
Ensuite, il faudra accompagner les collaborateurs sur les bons usages de la conduite électrique. Les collaborateurs doivent ainsi recharger en roulant ou lorsqu’ils dorment : il faudra donc privilégier des hôtels avec recharge. Car on ne peut plus partir sans réfléchir à son trajet et aux bornes sur ce trajet. L’éco-conduite contribue aussi à accroître le nombre de kilomètres parcourus en électrique. Il est aussi possible de proposer, avec régularité, des tutoriels sur la bonne conduite en électrique.
4. Faire essayer l’électrique
Prêter un véhicule afin de le faire tester reste une excellente solution. « De nombreux conducteurs ont des appréhensions, commente Théophane Courau, le président du fleeter Fatec. Il faut leur permettre d’essayer le véhicule électrique, ainsi qu’à leurs conjoints. Car ces derniers peuvent aussi constituer des freins. Mais mon expérience m’amène à penser que l’essayer, c’est l’adopter. »
Une démarche suivie par le groupe Top Chrono, spécialiste du transport urgent en cœur de ville et de la livraison du dernier kilomètre, qui gère un parc de 444 véhicules dont 100 électriques. « Pour convaincre nos conducteurs de passer à l’électrique, nous leur avons, avec la direction et les responsables d’équipe, présenté ces véhicules et leur avons fait essayer avec un de nos intervenants. Ces derniers ont effectué les tournées avec eux. Ils ont mis en avant les avantages de ces motorisations silencieuses, sans embrayage et neuves. Cela a beaucoup plu à nos chauffeurs de disposer d’engins très “modernes” », relate Fabrice Noël, directeur flotte de Top Chrono.
L’électrique en test
« Nous leur avons aussi expliqué comment brancher les câbles pour la recharge. Et nous les avons convaincus et rassurés : leurs véhicules électriques font les tournées sans tomber en panne », poursuit Fabrice Noël. Qui a aussi mis en avant la politique de mobilité verte et la volonté de Top Chrono de transporter des colis le plus écologiquement possible. « Nous sommes ISO 9001 et ISO 14001. Nous développons un message et une image d’entreprise verte. Les conducteurs ont fini par intégrer ce discours », conclut Fabrice Noël.

C’est aussi une stratégie prônée par Mathieu Charpentier, le directeur flotte automobile, transport et logistique de JCDecaux. Ce spécialiste de la communication extérieure et du mobilier urbain gère un parc, à 10 % électrique, de 2 000 véhicules dont 1 400 VUL, 550 voitures de fonction et 50 poids lourds. « Nous avons la volonté que ce pourcentage atteigne les 80 % en 2030, rappelle Mathieu Charpentier. Pour ce faire, il est important de consacrer un temps d’échange à chaque collaborateur. Il faut analyser avec lui son usage et lui expliquer qu’il n’a souvent pas conscience que 80 à 90 % de ses trajets hebdomadaires peuvent se faire en électrique. Cela va lui faciliter la vie. Cela engendre aussi une conduite plus souple, plus adaptée et anticipée, ce qui crée des temps de conduite sans stress », expose Mathieu Charpentier.
Valoriser l’électrique
Mathieu Charpentier rappelle aussi un point à valoriser : « Le véhicule électrique est nativement automatique. Or, avec les VU thermiques actuels, les collaborateurs doivent débrayer plus de 3 000 fois par jour. Des troubles musculosquelettiques (TMS) peuvent ainsi être évités avec l’électrique. » Pour accélérer l’électrification, Mathieu Charpentier conseille aussi à ses collègues gestionnaires de flotte de s’appuyer sur une offre de véhicules électriques en pool : « Lors des déposes pour révisions ou autres, chacun pourra alors essayer l’électrique », souligne-t-il.
5. Communiquer sur la durée
« Cette politique doit se conclure par la rédaction d’une charte des nouvelles règles d’utilisation des véhicules électriques », conseille enfin David Decultot, directeur du département ALD Business Intelligence, spécialiste du conseil sur les nouvelles mobilités et la transition énergétique. « Ce volet communication reste essentiel. Il faut aussi ajouter des webinaires d’explication de la recharge, de l’autonomie, du nombre de recharges publiques, des techniques de freinage en électrique, etc. Tout cela ne se fait pas tout seul. Donner des informations est important pour dépasser les a priori », complète David Decultot.
Une vision partagée chez JCDecaux : « Pour convaincre les salariés, il faut de l’accompagnement, de la formation, une volonté de la direction de donner les moyens nécessaires à une mobilité décarbonée, résume Mathieu Charpentier. Et cela peut s’accompagner par la construction et la proposition de modèles qui n’existaient pas comme JCDSwitch. Avec cette offre, nos conducteurs de véhicules électriques bénéficient de modèles thermiques les week-ends et les vacances. En tout état de cause, il faut rassurer les conducteurs en leur donnant tous les moyens nécessaires à la recharge, que ce soit au travail, en itinérance ou à leur domicile », conclut Mathieu Charpentier. Une méthode à suivre.
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