
En France, le recyclage des véhicules hors d’usage (VHU), considérés comme des déchets dangereux, est encadré par la loi. Leur traitement dépend depuis 2006 d’une filière dite à « responsabilité élargie du producteur » (REP) dans le cadre d’une directive européenne. Si bien que les constructeurs ont l’obligation de contribuer à la valorisation des VHU, au même titre que les centres VHU, les broyeurs et les propriétaires des véhicules.
Le 23 avril 2018, le gouvernement français a présenté sa feuille de route pour l’économie circulaire qui vise notamment à optimiser cette filière VHU. Le premier défi consiste à respecter les taux minimum de...
En France, le recyclage des véhicules hors d’usage (VHU), considérés comme des déchets dangereux, est encadré par la loi. Leur traitement dépend depuis 2006 d’une filière dite à « responsabilité élargie du producteur » (REP) dans le cadre d’une directive européenne. Si bien que les constructeurs ont l’obligation de contribuer à la valorisation des VHU, au même titre que les centres VHU, les broyeurs et les propriétaires des véhicules.
Le 23 avril 2018, le gouvernement français a présenté sa feuille de route pour l’économie circulaire qui vise notamment à optimiser cette filière VHU. Le premier défi consiste à respecter les taux minimum de valorisation et de recyclage fixés par l’Union européenne, à savoir 95 % et 85 % de la masse du VHU (voir l’article). Or, pour réduire la consommation et les émissions polluantes de leurs véhicules, les constructeurs cherchent constamment à les alléger. Ce qui implique souvent d’exploiter des matériaux innovants pour lesquels la filière de recyclage n’existe pas encore.
Faire payer le pollueur
Pour encourager à anticiper le recyclage, la feuille de route prévoit des bonus-malus sur l’éco-contribution pouvant excéder 10 % du prix de vente hors taxe des produits. En pratique, plus un produit est polluant, plus l’éco-contribution payée par le producteur est élevée. En contrepartie, le gouvernement veut permettre aux producteurs d’accéder aux informations techniques récoltées par les opérateurs de gestion de déchets afin de faciliter l’écoconception de leurs produits.
Seul souci : « Le calcul des taux de réutilisation et de recyclage/valorisation des VHU fait encore référence à une composition moyenne d’un VHU estimée il y a dix ans », alerte Éric Lecointre, coordinateur déchets de l’automobile et moyens de transport hors d’usage pour l’Ademe. La mise à jour de la composition moyenne des VHU est donc nécessaire pour tenir compte des évolutions technologiques.

En conséquence, l’Ademe a lancé une campagne de démontage et de broyage de 300 véhicules représentatifs du flux de VHU ; les résultats seront connus au printemps 2019. Cette étude s’intéressera en particulier à la question des matières non métalliques qui conditionne la performance de la filière par rapport aux objectifs de valorisation et recyclage. « La part de plastiques et la nature des polymères employés seront étudiés précisément, indique Éric Lecointre. Dans les pays où de telles études ont été menées, l’augmentation du pourcentage de matières plastiques n’a pas forcément été très importante. Nous verrons si l’étude française confirme cette tendance. »
Recycler les matières non métalliques
« De fait, il est beaucoup plus facile de recycler une voiture faite à 90 % d’acier, souligne Geoffroy Martin, responsable projets matériaux, manufacturing & systèmes et chaînes de traction & gestion de l’énergie au sein du pôle de compétitivité Mov’eo. Il faut donc travailler à la construction de nouvelles filières. » L’un des grands enjeux est par exemple de développer les techniques de recyclage des composites. « La filière réfléchit à des techniques de dépolymérisation, précise-t-il. Mais celles-ci restent complexes à mettre en œuvre et ne sont pas encore viables économiquement. »
L’une des solutions serait de développer des boucles matières. Mais une fois recyclés, les déchets issus de l’automobile ne retournent pas forcément dans ce secteur. « En France et en Europe, sur 85 % de la masse recyclée, seule une petite partie va dans l’automobile, c’est celle que nous essayons d’accroître. Le reste va dans des fers à béton pour le bâtiment ou bien dans des plastiques pour l’industrie manufacturière », informe Jean-Philippe Hermine, directeur stratégie et plan environnement du Groupe Renault.
Il existe pourtant des enjeux de recyclage pour des matériaux comme le cuivre, les platinoïdes dans les catalyseurs ou l’aluminium. « Nous avons mis en place des boucles matières en nous appuyant sur des sociétés de recyclage où nous avons investi de manière capitalistique, dont Indra, notre joint-venture avec Suez qui démonte environ 300 000 véhicules par an, poursuit Jean-Philippe Hermine. Pour nous, c’est une source d’approvisionnement en pièces de réemploi mais aussi en matières via notre filiale Gaia. »
Mais toutes ces initiatives se révèlent inutiles si les VHU ne sont pas correctement recyclés. C’est pourquoi la feuille de route pour l’économie circulaire a aussi pour ambition de renforcer la lutte contre le trafic de VHU, alors que l’on estime à 500 000 le nombre de VHU traités ou exportés illégalement chaque année. « Malgré l’intervention des pouvoirs publics pour fermer des sites, les entreprises agréées par les préfectures souffrent de cette concurrence, note Éric Lecointre pour l’Ademe. Un centre VHU agréé, s’il respecte le cahier des charges imposé par la réglementation, doit supporter des coûts importants auxquels la filière illégale n’est pas soumise. Les casses illégales peuvent donc acheter les véhicules aux particuliers à un prix supérieur, ce qui fausse la concurrence. »
S’il est difficile d’évaluer avec fiabilité la production annuelle de VHU et la part rejoignant cette filière illégale, Éric Lecointre estime que cette dernière pèse entre 30 et 40 % du flux de VHU chaque année.
Mais d’après les premiers chiffres de 2017 encore à valider, le nombre de VHU entrés dans la filière agréée serait en progression avec 108 000 véhicules de plus qu’en 2016. « Cette hausse est liée en grande partie à la prime à la conversion mais elle peut aussi s’expliquer, dans une moindre mesure, par la régularisation de casses sauvages », estime Éric Lecointre.
Évolution du nombre de VHU pris en charge par type de véhicule entre 2013 et 2016 | |||||
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Véhicules pris en charge | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | Évolution 2015/2016 |
Véhicules particuliers (VP) | 1 038 273 | 1 006 372 | 941 478 | 966 113 | + 2,6 % |
Véhicules utilitaires < 3,5 t (VUL) | 76 228 | 77 744 | 74 286 | 79 512 | + 7 % |
Cyclomoteurs à trois roues | 779 | 650 | 562 | 458 | – 18,5 % |
Total | 1 115 280 | 1 084 766 | 1 016 326 | 1 046 083 | + 2,9 % |
Source : Observatoire de la filière véhicules hors d’usage 2016, Ademe. |
En 2016, 1 046 083 VHU ont été pris en charge par les centres agréés, soit 1 114 898 t, dont 28 430 t de déchets issus de la dépollution, 37 907 t de pneus, 96 189 t de pièces, 80 426 t de matières recyclées ou valorisées et 878 368 t de carcasses.
Pour lutter contre la filière « illégale », le gouvernement va donner aux inspecteurs de l’environnement la possibilité de dresser des procès-verbaux et des amendes forfaitaires, et de « saisir immédiatement les VHU dans les sites illégaux pour les remettre dans la filière légale. » Et lors de la déclaration de cessation de l’assurance pour un VHU, le propriétaire aura l’obligation de fournir le certificat de destruction du véhicule par un centre agréé. Pour rappel, le propriétaire d’un VHU est déjà passible d’une amende de 1 500 euros s’il ne le remet pas à un centre VHU agréé.
D’autres pistes sont explorées : l’Ademe est en train de piloter un bilan mondial des dispositifs incitatifs existants afin de savoir s’ils peuvent être reproduits en France, à l’image de la prime versée aux automobilistes qui ramènent leur véhicule en fin de vie dans la filière légale au Danemark. Enfin, l’État prévoit de relancer d’ici 2022 tous les usagers dont le contrôle technique est arrivé à échéance dans le SIV (système d’immatriculation des véhicules), afin de vérifier que le véhicule a été soit vendu, soit remis à un centre VHU agréé.
Repenser les dispositifs
« Il faudrait mieux tracer les véhicules, confirme Éric Lecointre. Entre le parc de véhicules immatriculés dans le SIV et celui circulant réellement en France, l’écart est important et traduit bien l’existence de pratiques non réglementaires. Des véhicules ont été détruits physiquement mais pas administrativement ; il y a une forte chance qu’ils soient passés dans la filière illégale en France ou à l’export. »
Un autre enjeu consiste à améliorer les performances de la filière agréée. « En effet, nos chiffres montrent que si les acteurs principaux et les grandes marques opèrent bien le recyclage, c’est moins vrai pour les petits garages », prévient Olivier Fort, fondateur du spécialiste de la traçabilité des déchets AutoEco. Des outils existent pourtant, comme la refacturation : « La DGCCRF tolère que les garages mettent en pied de facture quelques euros supplémentaires (calculés et non forfaitisés) pour la gestion des déchets, mais à condition que ces déchets soient bien générés par la voiture en question, qu’ils soient collectés par des acteurs agréés et que le garage ne réalise pas de marge. Là encore, les choses ne sont pas toujours bien faites », explique Olivier Fort.
Recyclage : des performances à améliorer
Le traitement des VHU peut aussi être amélioré. « Deux grandes technologies complémentaires sont à la base du recyclage, expose Geoffroy Martin pour Mov’eo. La déconstruction vise à démonter et à trier les pièces, mais elle n’est plus rentable à partir d’un certain taux de démontage. Reste alors le broyage suivi de techniques de séparation des matières très efficaces, basées notamment sur le magnétisme ou la densité. Avec ce procédé, il reste une petite quantité de rebuts dont des mousses, difficile à séparer mais qui peut se valoriser énergétiquement. »
En France, l’arrêté du 2 mai 2012 a justement fixé des taux de valorisation minimum des matériaux issus de la dépollution des VHU hors métaux, batteries et fluides. Les centres VHU et les broyeurs doivent atteindre pour ces matières un taux de réutilisation et de recyclage de 3,5 % de la masse moyenne des véhicules ; ainsi qu’un taux de réutilisation et de valorisation de 5 % pour les centres et de 6 % pour les broyeurs sur la masse moyenne des VHU.
VHU : Démonter ou broyer ?
Avec le broyage, « de lourds investissements ont été réalisés pour mieux trier les matières non métalliques en vue du recyclage mais aussi de la valorisation énergétique. Mais des entreprises de broyage sont moins performantes que d’autres », regrette Éric Lecointre de l’Ademe. Selon lui, ces dernières faussent naturellement le jeu de la concurrence avec celles qui ont consenti des efforts importants.
« Des régions, prises indépendamment, n’atteignent pas les objectifs fixés par la réglementation – comme la Normandie –, alors que d’autres se rapprochent des moyennes nationales, voire les dépassent largement – la région Occitanie ou la Nouvelle Aquitaine », souligne l’Ademe dans son Observatoire 2016 de la filière VHU, même si les transferts entre régions limitrophes sont fréquents. La feuille de route pour l’économie circulaire prévoit aussi un plan d’action pour améliorer la gestion des VHU en outre-mer où la filière est moins développée.
Enfin, certains matériaux ne sont toujours pas bien recyclés dont le verre, les textiles et les mousses de siège. « Leur retraitement par les centres VHU rencontre vite une limite économique. Contrairement aux pièces de réutilisation, le démontage et l’extraction de matières non métalliques représentent un coût important de main-d’œuvre, en général seulement en partie compensé par le prix de leur vente aux recycleurs qui, eux, doivent faire face à des contraintes logistiques fortes de collecte. L’économie de l’activité des centres VHU agréés peut alors se trouver sensiblement affectée par un démontage important de matières non métalliques pour le recyclage », détaille Éric Lecointre.
« Nous avons accompagné le projet Valver qui visait à développer une filière de valorisation du verre automobile. C’est un produit lourd et qui a, au final, peu de valeur », illustre Geoffroy Martin. Le projet s’est révélé non viable économiquement, entre autres pour des raisons de transport et de logistique. « Mais il a conduit à mettre au point une technique de traitement des émaux (le revêtement noir sur les bords du pare-brise) », ajoute ce responsable de Mov’eo.
Performance de valorisation moyenne des broyeurs français par matière | |||
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Matériau | Recyclage | Valorisation énergétique | Mise en centre de stockage (décharge) |
Métaux ferreux | 100 % | – | – |
Métaux non ferreux | 100 % | – | – |
Polyéthylène (PE) réservoirs à carburant |
69 % | 19 % | 12 % |
Faisceaux électriques | 68 % | 21 % | 11 % |
Polypropylène (PP) pare-chocs |
61 % | 24 % | 15 % |
Polypropylène (PP) autres pièces | 50 % | 31 % | 18 % |
Polyéthylène (PE) autres pièces | 49 % | 32 % | 20 % |
Verre | 32 % | 23 % | 45 % |
ABS, PVC, PC, PMMA, PS, etc. | 29 % | 38 % | 33 % |
Polyamides (PA) | 26 % | 36 % | 38 % |
Peintures | 17 % | 48 % | 35 % |
Mousses polyuréthanes | 15 % | 55 % | 30 % |
Textiles, autres | 15 % | 57 % | 28 % |
Autres caoutchoucs | 11 % | 55 % | 34 % |
Source : Observatoire de la filière véhicules hors d’usage 2016, Ademe. |
Selon l’Observatoire de la filière VHU, en 2016, à l’issue du broyage, l’ensemble des matières ont été valorisées à près de 93,9 % en moyenne (75 % en 2015). Les matières non métalliques n’ont été valorisées qu’à 71,1 % (70 % en 2015).
Pneus : le rechapage revient au premier plan
Une dernière mesure de la feuille de route pour l’économie circulaire concerne cette fois directement les flottes : le gouvernement envisage, sur la base d’une étude à finaliser d’ici 2019, de s’engager à faire appel à des pneus rechapés ou rechapables pour les flottes des véhicules lourds des services de l’État, de leurs opérateurs et des collectivités. Cette obligation devrait relancer l’intérêt pour les pneus rechapés dont le marché est en difficulté depuis 2013, notamment en raison des importations de pneus mono-vie en provenance d’Asie.

Du côté de la valorisation et du recyclage des pneus, la France a battu un record en 2017 selon le rapport de l’Observatoire des pneumatiques usagés, publié par l’Ademe. « La quantité de pneus traités est en hausse pour la première fois depuis 2014 et a atteint son niveau le plus élevé en tonnage », note l’observatoire. 496 326 t ont été traitées, soit + 14,7 % par rapport à 2016. « Cette importante augmentation peut s’expliquer par le traitement en 2017 des pneus stockés par Aliapur en 2016 suite aux problèmes rencontrés avec l’export des containers de pneus usagés sur le territoire marocain, rappelle l’observatoire. L’ouverture d’une filière de traitement en Turquie en 2017 contribue aussi à ce mouvement. »
En revanche, seules 461 223 t de pneus ont été collectées en 2017, en baisse de 3,7 % par rapport à 2016. Le taux de collecte global est ainsi passé de 99 % à 92 % entre 2016 et 2017. Preuve s’il en est que les efforts pour transformer les déchets en ressources ne doivent jamais se relâcher. Reste maintenant à savoir quand et comment la feuille de route de l’État sera concrètement déclinée.