
Aujourd’hui, les métropoles agissent comme des « méga-gestionnaires » de parc. Non seulement elles imposent l’équivalent d’un règlement automobile à toutes les flottes opérant sur leur territoire via les plans de déplacements urbains (PDU, voir l’encadré ci-dessous), mais elles influent aussi sur la car policy avec la mise en place de zones à faibles émissions (ZFE). En France, les villes de Paris, Grenoble et Strasbourg, ainsi que la métropole du Grand Paris et Grenoble-Alpes Métropole, ont déjà mis en œuvre ou adopté un projet de ZFE sur la base du système Crit’Air ; et seize autres collectivités, dont les métropoles de Toulouse et Lyon,...
Aujourd’hui, les métropoles agissent comme des « méga-gestionnaires » de parc. Non seulement elles imposent l’équivalent d’un règlement automobile à toutes les flottes opérant sur leur territoire via les plans de déplacements urbains (PDU, voir l’encadré ci-dessous), mais elles influent aussi sur la car policy avec la mise en place de zones à faibles émissions (ZFE). En France, les villes de Paris, Grenoble et Strasbourg, ainsi que la métropole du Grand Paris et Grenoble-Alpes Métropole, ont déjà mis en œuvre ou adopté un projet de ZFE sur la base du système Crit’Air ; et seize autres collectivités, dont les métropoles de Toulouse et Lyon, se sont engagées à en faire autant d’ici fin 2020 via un appel à projet de l’Ademe.
Vers la fin des véhicules motorisés ?
« Nous sommes convaincus que nous aurons besoin demain de véhicules motorisés. C’est pourquoi il est important de se questionner maintenant sur la façon de mener à bien leur transition énergétique », rappelle Yann Mongaburu, président du Syndicat mixte des transports en commun (SMTC) de l’agglomération grenobloise, et vice-président de Grenoble-Alpes Métropole délégué aux déplacements.
La difficulté, c’est que les flottes professionnelles sont polymorphes : VUL, PL, VP, deux-roues motorisés, etc. Et si l’on pense en premier lieu au transport de marchandises, de nombreux autres professionnels ne peuvent se passer de véhicules motorisés pour se déplacer, tant pour des trajets métiers que domicile-travail : des acteurs du BTP aux artisans et commerçants, en passant par les pompiers et la mairie, sans oublier le secteur médical.

Avec à la clé un enjeu important : « Face aux contraintes que nous fixons, le risque, c’est que les professionnels ne viennent plus en centre-ville », avertit Jean-Michel Lattes, premier adjoint à la ville de Toulouse en charge des déplacements, vice-président de Toulouse Métropole en charge des transports et président du SMTC Tisséo.
En conséquence, les flottes les plus vertueuses pourraient à l’avenir bénéficier d’un traitement de faveur, afin de les encourager à investir dans des véhicules moins polluants, mais aussi dans de nouvelles méthodes d’organisation et de mutualisation. Voire à basculer – si cela est possible – vers des modes alternatifs de déplacement.
Des aides à l’achat spécifiques
À Grenoble, une ZFE est expérimentée depuis 2017 et ses exigences sanitaires se renforcent peu à peu : les véhicules Crit’Air 4 ne seront plus autorisés à circuler dans la zone à l’été 2020 et seuls les Crit’Air 1 auront droit d’y accéder en 2025. Pour Yann Mongaburu, « ce dispositif permet de planifier l’évolution du parc automobile », alors que la stratégie de la métropole vise à terme un abandon du diesel et des énergies fossiles.
Pour accompagner cette évolution, des aides à l’achat existent depuis un an, d’abord réservées aux entreprises de moins de 250 salariés, puis étendues à toutes les formes juridiques telles les professions libérales et les associations. « Ces aides sont cumulables avec celles de l’État pour acheter ou louer un véhicule électrique ou GNV, neuf ou d’occasion, au même coût qu’un diesel », note Yann Mongaburu.
Jusqu’à présent, une dizaine de dossiers ont été soumis, principalement par des artisans ou des commerçants afin d’acquérir des VUL électriques, pour une moyenne de 3 000 euros d’aide. Des demandes qui devraient se multiplier et se diversifier avec l’élargissement de la ZFE, mais aussi l’ouverture de trois stations GNV accessibles aux PL. La métropole de Grenoble a en outre créé un cercle de concessionnaires et garagistes locaux pour anticiper la transformation de la formation et les adaptations du métier.
Des aides pour le GNV et l’électrique à Paris

La ville de Paris, dont la ZFE est déjà en vigueur, propose aussi des aides à l’achat ou à la location pour les flottes afin de les orienter vers des modèles à faibles émissions, « plutôt au GNV pour les PL et plutôt électriques pour les VUL, précise Louis Jacquart, chef de l’agence de mobilité de la mairie de Paris. Il existe aussi des aides spécifiques pour les VU et les locaux insonorisés pour des livraisons silencieuses, en particulier la nuit », ajoute-t-il. La ville est en train de faire le bilan de ses aides et d’évaluer leur fonctionnement.
À Lyon, en prévision du déploiement de sa ZFE en 2020, la métropole accorde depuis le 1er février dernier des aides financières pour l’acquisition d’un véhicule électrique, GNV ou hydrogène. Celles-ci sont limitées à six véhicules pour les professionnels situés dans le périmètre de la ZFE et à trois pour les autres. Elles s’échelonnent de 5 000 euros pour les VUL à 10 000 euros pour les PL, et peuvent se cumuler avec les aides nationales, avec déjà quelques demandes.
En revanche, Toulouse a renoncé à ce système. « Il y a eu des aides locales au départ mais ce n’est plus vrai désormais, sauf pour le vélo électrique. Nous misons sur une démarche commune de travail sachant que nous avons des intérêts mutuels : les flottes ont besoin de nous pour travailler efficacement et nous avons besoin qu’elles rationalisent leurs trajets », avance Jean-Michel Lattes.
Mais encourager les professionnels à convertir leurs flottes passe aussi par des avantages en nature, entre autres à travers la politique de stationnement. « À Paris, les professionnels bénéficient de facilités pour se garer grâce à la carte pro et le stationnement est gratuit en surface s’ils roulent à l’électrique ou au GNV », illustre Louis Jacquart. Pareillement, la tarification grenobloise tient compte de la responsabilité environnementale. « Via la politique de stationnement, nous avions besoin de redonner un avantage compétitif à ceux qui s’engagent dans la transition énergétique de leurs véhicules », rappelle Yann Mongaburu (voir le témoignage).
Faciliter le stationnement des entreprises
Pour sa part, Toulouse a établi la liste des professionnels dont la venue est nécessaire et a instauré en 2005 des réglementations spécifiques, selon un système de cartes apposées sur les pare-brise. Les métiers du secteur médical bénéficient donc du stationnement gratuit pour une période, puis facturé à un tarif faible. Les artisans peuvent envoyer un e-mail une semaine à l’avance pour réserver un espace public le temps de leur chantier en échange d’une contribution. Ce système, revu en 2017, sera bientôt intégré à une application sur smartphone. « Les professionnels pourront savoir où se situent les espaces libres sans les chercher, et seront facturés exactement au temps passé sans que les salariés aient à avancer le stationnement », anticipe Jean-Michel Lattes (voir le témoignage).
Des villes prévoient aussi des dérogations à la ZFE. « Nous avons pris en compte les retours des professionnels par rapport aux difficultés financières et de temps pour modifier les véhicules », explique Émilie Fodor de la métropole de Lyon. Les véhicules de secours et les véhicules automoteurs spécialisés (VASP) bénéficient de dérogations permanentes, les véhicules « outils », telles les bétonnières, de dérogations sur trois ans. Enfin, des dérogations individuelles sont attribuées sur dossier pour une durée maximale de 18 mois, renouvelable une fois.

Des dérogations ou non pour les pros ?
« Sont éligibles un acteur économique qui a commandé un véhicule vert dont la livraison sera postérieure à l’entrée en vigueur de la verbalisation dans la ZFE, des populations plus en difficulté tels les commerçants non sédentaires, ou des sociétés en faillite », illustre Émilie Fodor. Un guichet unique répond aux questions des professionnels, attribue les aides, s’occupe des dossiers de dérogation, mais aussi mène des actions relatives à la mobilité et accompagne les artisans du territoire en partenariat avec la chambre des métiers de l’artisanat (CMA). « La mesure est plus lourde pour cette dernière catégorie d’acteurs en comparaison avec les gros transporteurs qui fonctionnent souvent en LLD, avec donc des véhicules plus récents », note Émilie Fodor (voir le témoignage).
Si les dérogations ont été identifiées par l’Ademe comme l’un des leviers pour renforcer la faisabilité économique et sociale des ZFE, des villes n’accordent pas de dérogations individuelles. « À Paris, la réglementation interdit la circulation des véhicules Crit’Air 5, et bientôt des Crit’Air 4 à compter du 1er juillet 2019. Dans le cadre du plan climat de la ville, elle tend en outre vers l’arrêt du diesel en 2025 et du thermique en 2030. Les professionnels doivent être inclus pour atteindre ces objectifs », argue Louis Jacquart (voir le témoignage).

Quoiqu’il en soit, les métropoles ne peuvent se contenter d’encourager le recours à des motorisations alternatives au thermique. « Il est nécessaire d’organiser le développement de mini stations-services de carburants alternatifs. Grâce à cette planification, les énergéticiens et les acteurs privés peuvent prévoir leur mutation », soutient Yann Mongaburu pour Grenoble.
La métropole de Lyon compte environ 200 bornes de recharge électrique sur son territoire avec l’objectif d’en déployer jusqu’à 800. « Nous avons aussi quatre stations GNV et plusieurs autres seront déployées d’ici deux ans avec un objectif de huit stations sur le territoire », complète Émilie Fodor.
Planifier le développement d’infrastructures
La planification des infrastructures s’applique aussi aux transports en commun, aux équipements cyclables ou aux emplacements d’autopartage. En effet, la mutation des métropoles remet en question les modèles de possession et d’usage des véhicules, au point de transformer la typologie des flottes urbaines. Ainsi, s’il concerne plutôt les particuliers, le report modal est possible au sein des entreprises, comme vers le vélo.
« La Poste, première entreprise de logistique en France, effectue l’essentiel de ses livraisons à vélo. Et de nouveaux acteurs émergent à Grenoble comme la fédération des entreprises à vélo. Ses membres vont des sociétés de livraison aux taxis en passant par les plombiers, les réparateurs à domicile ou les médecins. Ils ont tous fait le choix du vélo comme véhicule principal car cela leur semble moins coûteux », rappelle Yann Mongaburu. À Lyon, la métropole mise sur le développement des infrastructures de transport en commun : « Nous encourageons les acteurs économiques à les utiliser lorsqu’ils se déplacent pour réaliser des actes commerciaux et n’ont pas besoin de leur véhicule », expose Émilie Fodor.
De son côté, Toulouse Métropole compte environ 80 voitures en autopartage en centre-ville, via la Scop Citiz, avec des espaces sur les points d’intermodalité. L’agglomération mise sur la typologie de sa population pour développer ce type de services : « Un habitant sur quatre à Toulouse est un étudiant, sans compter les entreprises comme Airbus qui emploient beaucoup de jeunes cadres », indique Jean-Michel Lattes.
Cette transformation des modes de déplacement peut-être accompagnée par les collectivités via les plans de mobilité des entreprises (PDM, ex PDE). Le SMTC de l’agglomération grenobloise propose ainsi la signature d’une convention de partenariat afin d’obtenir sa labellisation M’pro pour les PDM. « Nous accompagnons les entreprises gratuitement pour identifier leurs marges de manœuvre et en retour, elles doivent s’engager sur au moins deux axes », détaille Yann Mongaburu.
209 organisations se sont engagées dont 58 % d’entreprises, 22 % d’établissements publics, 12 % d’associations et 8 % de collectivités ; et pour moitié des structures de moins de 100 salariés. Les deux thématiques les plus souvent retenues sont les mobilités actives et la voiture partagée. Pareillement, la métropole de Lyon met à disposition une boîte à outils technique sur son site internet, avec un accompagnement personnalisé par des développeurs économiques affectés à ses territoires. « La métropole comptait déjà plus de 160 PDE sur le volet transports en commun et 17 plans de déplacements interentreprises (PDIE) ; depuis ce 1er janvier, 59 nouveaux PDM ont été actés », mentionne Émilie Fodor.
Vers des solutions interentreprises
Mais les collectivités cherchent aussi à faire collaborer les professionnels entre eux. Dans ce but, Toulouse Métropole participe ainsi au projet européen Commute, pour COllaborative Mobility Management for Urban Traffic and Emissions reduction. Ce projet vise à offrir des alternatives efficaces à la voiture pour les trajets domicile-travail dans la zone aéroportuaire toulousaine qui regroupe environ 70 000 emplois. « Nous avons eu une première opération de covoiturage, expérimentons des navettes autonomes, préparons une troisième ligne de métro desservant la zone et réfléchissons à la mutation du réseau cyclable », décrit Jean-Michel Lattes (voir notre n° 249).

À Lyon, les 17 PDIE regroupent 360 établissements et près de 60 000 salariés. « Un PDIE commence souvent par une expérimentation qui perdure dans la plupart des cas », rappelle Émilie Fodor. Aujourd’hui, ceux-ci sont plutôt tournés vers les déplacements des salariés mais demain, ils toucheront aussi les transports de marchandises : « Les commandes mutualisées via un seul appel à projets, par exemple pour le papier, sont de plus en plus dans l’air du temps », poursuit-elle.
Le territoire grenoblois compte deux PDIE à Grenoble Presqu’Île, qui mêlent télétravail, mutualisation des véhicules et réduction du nombre des trajets grâce à des cantines et des livraisons inter-établissements. « Nous nous faisons accompagner pour massifier ces deux cas d’écoles dans nos zones d’activité », complète Yann Mongaburu.
Au final, comme le résume Jean-Michel Lattes pour Toulouse, l’objectif des villes est clair : « Que la voiture ne soit plus employée que par les professionnels et les particuliers pour qui elle est indispensable, sans peser sur leur liberté de déplacement. » En attendant les flottes urbaines de demain.
Dossier - Zones à faibles émissions (ZFE) : quelle place pour les flottes en ville ?
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- Le plan de déplacements urbains
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